samedi 11 juin 2016

"Jean-Luc Mélenchon, je t’écris une lettre..."

https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet
"Sylvestre HUET qui a longtemps travaillé pour “Libération” - qu’il a quitté récemment , il écrit maintenant dans “Le Monde”
- ne peut en aucun cas être accusé de faire partie du lobby pro-nucléaire. Il est simplement un journaliste scientifique qui fait consciencieusement son travail et n’écrit qu’après enquête sérieuse. Il avait soutenu publiquement la candidature de Mélenchon en 2012
 
 
 
Jean-Luc Mélenchon, je t’écris une lettre...

Jean-Luc, si je te tutoie, c’est que j’ai voté pour toi en 2012, et même appelé à le faire publiquement. Pour 2017, on verra. Je crains de devoir le faire aussi. Je le crains, car cela signifierait probablement un deuxième tour Le Pen/Droite, à moins d’un miracle politique. Or, en politique, les miracles sont rares, et ne surviennent en général qu’après une préparation assez longue, comme le Front Populaire qui fut préparé de février 34 à juin 36. Donc, l’espoir est mince même si c’est pour l’instant le seul disponible.

Mais ce n’est pas pour cela que je t’écris. Je voudrais parler de ce que ferait une gauche vraiment de gauche au pouvoir, sur quelques points que tu as abordé lors de ton discours sur la place Stalingrad. Des points qui m’inquiètent, car ils signalent le risque d’un exercice du pouvoir qui déboucherait sur un échec, pour le peuple, pire que celui provoqué par le tournant de 1983.

Le temps du charbon

Déjà, je me demande si tu n’es pas trop vieux dans ta tête. Tu es né en 1951, à peine sept ans avant moi. Et pourtant tu me parles d’un «monde où respirer ne rendait pas malade. Où le printemps n’était pas le temps des allergies mais celui de l’amour». Jean-Luc, idéaliser le temps de sa jeunesse, au point de le parer de belles couleurs peu réalistes est un très mauvais signe. Celui d’une difficulté à affronter les défis de l’avenir. Jean-Luc, as-tu vraiment oublié ? La Sorbonne, Notre-Dame et l’Hotel de Ville et tous les monuments de Paris… noirs de suie. Je les ai vu ainsi, toi aussi. Ce charbon qui permettait de se chauffer, de produire de l’électricité et de l’acier pénétrait aussi les poumons. Ce temps dont tu parles, c’est celui des mineurs crevant à 50 ans, avec la bonbonne d’oxygène près du lit, silicosés à mort. C’est le temps où j’allais chercher au fond du jardin, les «boulets» – ce charbon du pauvre fait de poussières comprimées – pour alimenter le poêle de ma grand-mère. C’est le temps où, en une seule semaine début décembre 1952, la pollution atmosphérique due au charbon tue 12.000 personnes à Londres et en cloue 100.000 au lit. Ce temps, c’est aussi celui des agricultrices les reins brisés à 45 ans, sous le poids des bidons de lait trop lourds, le dos penché vers le sol à 50 ans. Ce monde, c’est celui d’une espérance de vie inférieure de 20 ans à l’actuelle. Celui des bidonvilles entourant Paris, où vivaient des dizaines de milliers d’ouvriers et d’employés. Ce temps, c’est celui où le quart de la population active travaille dans l’agriculture et où, pourtant, la France importe… du blé !

Les «dégâts du progrès technologique» sont incontestables. Il faut les combattre, de manière à obtenir des technologies non seulement la production utile et la productivité du travail qui libère du temps libre pour les loisirs, le repos et la citoyenneté, mais également un environnement propre et agréable, permettant un rapport sain et porteur de bonheur à la nature. Mais cela ne peut se faire avec des slogans ou la simple affirmation des liens entre l’usage capitaliste, pour le profit financier, de ces technologies et la dégradation de l’environnement qu’elles peuvent provoquer. Il faut orienter la recherche et l’usage de ces technologies vers les buts poursuivis. Sinon, la dénonciation tourne court, devient un simple slogan sans application concrète et débouche sur un discours réactionnaire et faux sur un passé idéalisé.

La planification écologique

C’est pourquoi tu m’inquiètes. Lorsque tu proclames la «planification écologique» tu as profondément raison. Lorsque tu soulignes que le vrai accord de la COP-21 sur le climat, c’est une visée à 3,5°C de plus que les températures pré-industrielles, tu es même probablement en dessous de la réalité. Lorsque tu dis qu’il faut repenser la «civilisation humaine» dans la perspective de la «catastrophe assurée» provoquée par le changement climatique, tu n’es pas loin de la bonne formulation de principe. L’ennui, c’est qu’il faut donner un contenu à cette planification écologique. Constitutionnaliser la «règle verte» ne résoudra aucun problème de manière automatique. Il ne te revient pas, comme aux Français qui ne constituent que moins de 1% de la population mondiale, de tracer une telle planification à l’échelle de la planète. Mais au moins de définir le rôle de la France et surtout de préciser comment la population française va vivre dans ce monde à venir.

Or, lorsque tu proclames «il faut sortir du nucléaire», «parce que c’est dangereux», c’est trop court. Surtout lorsque tu enchaînes directement «parce que le changement climatique nous met en danger». Je crains que ta visée ne soit là qu’électorale, et peu appuyée sur une réflexion, comme lorsque tu es venu, en 2012, expliquer sur mon lieu de travail que l’on pouvait produire l’électricité dont nous avons besoin par la géothermie, une bonne idée mais dont le potentiel ne dépasse pas une petite part de la production nécessaire. Lorsque tu affirmes qu’il est possible de remplacer les éoliennes à terre (ça, c’est le bouquet…), et les centrales nucléaires, par des éoliennes en mer d’ici moins de dix ans, tu es dans un déni de réalité très inquiétant. Observe, Jean-Luc, l’exemple allemand. Nos voisins ont dépensé 300 milliards d’euros en 25 ans pour le soutien aux énergies renouvelables. Ils ont installé plus de 46.000 MW d’éoliennes (plus de la moitié du parc nucléaire français). Pourtant, malgré cet effort gigantesque, l’électricité éolienne représente moins de 11% du total de leur électricité. Tandis que le charbon dépasse les 40%, ce qui fait plus de la moitié en énergies fossiles ajouté au près de 10% du gaz. Quant au photovoltaïque, il titille les 6% de la production germanique. Cet exemple démontre à lui seul que la perspective que tu traces n’est ni raisonnable ni possible. Se faire applaudir sur un slogan creux peut permettre de gagner une élection – comme Hollande lorsqu’il se présentait comme un ennemi de la finance – mais pas de résoudre les problèmes économiques et sociaux, ce qui est le but de la vraie gauche.

La menace climatique

En outre, je trouve vraiment bizarre le lien que tu fais entre électro-nucléaire et climat. Il est à rebours de la vérité. L’électricité nucléaire produit très peu de gaz à effet de serre au kWh, comparable aux meilleurs des cas de l’hydraulique et de l’éolien. C’est donc, à priori, un outil potentiellement puissant pour diminuer la menace climatique. La vérité, si l’on ne veut y recourir, oblige donc à dire l’inverse de ton discours et souligner qu’en se privant de cet outil, on diminue les chances d’atténuer le changement climatique. C’est pourtant ce que fait aujourd’hui la France, avec son électricité décarbonée à plus de 90% à l’aide du nucléaire à (75%) et de l’hydraulique pour l’essentiel.

Peut-on, comme tu le demandes, parvenir à un système énergétique à 100% renouvelable – eau, soleil, vent – dans notre pays ? Peut-être qu’en 2050, il sera possible de le faire si des verrous technologiques ont sauté d’ici là sur les quantités produites – n’oublie pas qu’il faut électrifier les transports afin de se passer de pétrole, et en finir avec le gaz comme source principale de chauffage, si l’on veut sérieusement s’occuper du climat – et surtout sur le stockage de l’électricité. Mais toi et moi serons probablement morts en 2050 et nous ne pourrons le vérifier. Et si tu gouvernes demain, durant tout l’exercice de ton pouvoir, un tel système ne sera pas à ta disposition. Renoncer à l’électro-nucléaire dans de telles conditions serait désastreux pour l’économie et les moyens de vivre de la population. Est-ce risqué ? La France dispose d’un appareil de production d’électricité nucléaire encore en bon état, bien contrôlé et surveillé sévèrement par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Cette situation peut se dégrader. Le Japon nous a appris qu’outre les risques naturels à ne pas sous-estimer, l’organisation sociale exigée pour un haut niveau de sûreté ne supporte pas la corruption ou les liens incestueux entre industriels privés et responsables politiques. Les avantages du nucléaire pour l’électricité sont comme oubliés par ce discours. Ils sont pourtant réels. Un air propre, des émissions de gaz à effet de serre minimum, une production peu chère et abondante, la possibilité de stocker le combustible de plusieurs années de production donnant ainsi une large marge de manœuvre en cas de crise internationale… Bien sûr, tous ces avantages disparaissent en cas de catastrophe entraînant une émission massive de radioactivité. Mais il est raisonnable de penser que nous nous donnons les moyens de l’éviter.

L’opinion selon laquelle un accident avec émission massive de radio-éléments est inéluctable n’est pas la mienne, mais je la respecte. Et donc je peux accepter qu’un responsable politique qui la partage propose à la France un plan pour sortir du nucléaire. Et j’accepterai la sanction populaire d’un tel plan, exprimée par le vote du peuple. En revanche, ce qui n’est pas acceptable, c’est d’affirmer que l’on peut sortir du nucléaire avec un recours à l’électricité éolienne «en moins de dix ans». En 20 ans non plus d’ailleurs. La vraie gauche a besoin de sincérité, de vérité et de responsabilité.

Jean-Luc, je te souhaite longue vie et de nombreux combats communs.

Sylvestre Huet

PS : je te suggère de te pencher sur d’autres sujets « durs ». La France importe la presque totalité des matières premières énergétiques ou minérales, qu’elle consomme pour son économie. Une diminution significative de ce flux signifierait un collapse de son économie et la destruction de millions d’emplois. Question : que proposes tu comme exportations pour payer ces importations ? Pour démarrer ta réflexion, voici les trois postes actuellement les plus exportateurs de notre balance commerciale : les avions d’Airbus, les produits de luxe, les productions agricoles et singulièrement les vins et alcools ainsi que le blé.
 
Source : http://huet.blog.lemonde.fr/2016/06/07/jean-luc-melenchon-je-tecris-une-lettre/

2 commentaires:

  1. Je m'attendais, au regard des compétences de Sylvestre Huet, à une lettre argumentée, pleine de références, qui serve de contre-argumentaire à celle de Jean-Luc Mélenchon. Je suis déçu. On est très loin de l'enquête sérieuse que nous annonce le chapeau. En premier lieu, concernant la qualité de l'aire que nous respirons, l'exemple que donne S. Huet, s'il est pertinent à Paris, oublie un élément de taille : le temps dont il nous parle se situe avant la massive exode rurale des années 1960 et les populations des campagnes respiraient alors un air bien plu pur que celui d'aujourd'hui. Cela relativise sans doute la démonstration faite, sans forcément donner raison à Mélenchon.
    Ma deuxième remarque est plus "politique" que "scientifique" : je suis de ceux qui pensent que notre peuple a besoin de rêves. Les incantations de Mélenchon ou la volonté du PCF de "rallumer les étoîles" contribuent à décrire un avenir meilleur, alors que ceux qui nous gouvernent et leurs prédécesseurs nous expliquent que faire autrement n'est pas possible et que l'on doit choisir entre le "pire" et le "moins pire". Et Sylvestre Huet nous fait cette démonstration étrange : à quoi bon la planification écologique puisqu'elle ne concernerait que la France. Attendre que tout le monde se mette d'accord n'a pas de sens. Il faut que certains pays, parmi les plus puissants, crédibilisent l'engagement collectif par leur propre engagement. Sinon, c'est un vœu pieux. Ce qui est vrai pour la lutte contre le dérèglement climatique est vrai dans d'autres domaines, comme les traités européens.
    Enfin, Sylvestre HUET met en avant son principal désaccord : il est nucléariste, parce qu'il juge l'énergie nucléaire propre et sans risque, pour peu que l'on y mette de la bonne volonté. Mais que faire alors, dans un monde de dérèglement climatique, des risques portés par la montée des eaux dans l'estuaire de la Gironde sur la centrale du Blayais. Ou ceux liés au contraire à une baisse du niveau de la Loire sur les centrales qui la bordent. Ou enfin sur les risques d'attaques terroristes. Une enquête sérieuse aurait consisté à démonter sérieusement ces arguments, pour peu qu'ils puissent l'être.
    La légèreté du propos aurait ainsi pu être mise en exergue pour chaque argument abordé par S. Huet. Il y en a un dernier qui me chagrine : rien de ce qu'il pointe a été ajouté depuis 2012, ce qui signifie que Mélenchon portait déjà ces éléments de programme au moment où Sylvestre Huet votait pour lui. Qu'est-ce-qui a changé depuis ? On peut se poser la question...

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    1. Jen-Paul LAUVERGEONlundi, 13 juin, 2016

      Eh oui, à cette époque l'air de nos campagnes était pur. Il n'y avait pas, dans le monde rural, tous ces appareils électriques, à gaz ... on se chauffait au bois, on cuisinait sur des cuisinières à bois, et les veillées au coin du feu de cheminée ... quel bonheur ! Chaque maison avait son immense tas de bûches soigneusement protégé de la pluie... Le bois est le plus effroyable des polluants atmosphériques ! Combien de nos paysans sont morts d'avoir respiré toute leur vie cette si agréable odeur d'hydrocarbure aromatique polycyclique ? Le bois (pardon ... la biomasse, cette énergie renouvelable tant vantée) est encore aujourd'hui le premier polluant de notre atmosphère.

      1- Émissions dans l'atmosphère comparées de quelques combustibles et du transport routier (véhicules Diesel inclus), pour l'année 2007 en France métropolitaine, en % des émissions totales (selon les estimations du CITEPA, qui assure la réalisation technique des inventaires de la pollution atmosphérique dans notre pays) :
      PM10 = particules de taille inférieure à 10 microns - PM2,5 = particules fines - PM1,0 = particules très fines - HAP = Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (certains sont reconnus très cancérigènes)
      Émissions nationales de quelques polluants (en %) pour l'année 2007 (rapport SECTEN - mise à jour de juin 2009)
      PM10 PM2,5 PM1,0 HAP Dioxines/Furanes Plomb
      Bois énergie 23 35 61 72 17 19
      Fioul domestique 4,4 6,6 10 4,5 0,1 0,0
      Gaz naturel 0,19 0,13 0,06 0,0 0,0 0,0
      Transport routier 10,5 11,6 16,2 20,5 1,6 0,0
      Benzène : pour les émissions de ce composé cancérigène, le CITEPA ne fournit pas de donnée spécifique au bois énergie, mais précise que : « Le principal secteur émetteur de benzène est le résidentiel/tertiaire (75,8%) en particulier du fait de la combustion du bois, suivi du transport routier avec 14,1%. »
      2- Quelques valeurs typiques d'émissions de polluants par des appareils de chauffage récents (source : Impact sur la Qualité de l'air des émissions dues à la combustion du bois - ministère de l'écologie - 2 mars 2006)
      Combustibles : Bois - Fioul Domestique (FOD) - Gaz naturel - Charbon. COV = Composés Organiques Volatils
      Emissions spécifiques d'appareils de chauffage domestiques récents
      Rendement(%)PM10(g/GJ) HAP(mg/GJ) COV (g/GJ) Benzène (g/GJ)
      Bois (poêle) 60 411,7 1003,3 666,7 100,00
      Bois (chaudière)70 135,7 78,6 428,6 64,3
      FOD (chaudière) 83 14,6 1,2 3,6 0,2
      Gaz (chaudière) 86 0,0 0,0 2,9 0,3
      Charbon(chaudière)70 101,4 0,0 21,4 0,9
      Les émissions spécifiques des appareils sont exprimées en unité de masse (g ou mg) par unité d'énergie sortante (gigajoule (GJ))

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