mercredi 23 décembre 2015

Contre la déchéance de nationalité, au nom de l’unité de la République (André Chassaigne)

Par André Chassaigne, Président du groupe Front de gauche à l'Assemblée nationale — 17 décembre 2015 (Libération)

Alors que l'exécutif hésite à maintenir la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français dans son projet de réforme de la constitution post-13 novembre, le malaise est perceptible jusque dans les rangs de la majorité. Une telle mesure a déjà été soutenue par une extrême droite motivée à l’idée de hiérarchiser les Français.

Après les terribles attentats du 13 novembre, l’exécutif a dû agir vite. Certaines initiatives ont néanmoins été prises dans la précipitation, sans le recul nécessaire pour apprécier leur sens profond et leur portée réelle. Ainsi en est-il, plus particulièrement, de l’annonce présidentielle faite devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles d’insérer dans la Constitution la possibilité de déchoir de la nationalité française les citoyens «nés Français» - mais disposant d’une autre nationalité - convaincus d’actes terroristes. Une telle mesure a déjà été soutenue par une extrême droite motivée à l’idée de différencier et de hiérarchiser les Français. A l’inverse, les forces du Front de gauche ont toujours été opposées à cette idée aussi grave que dangereuse. Aujourd’hui, le malaise est perceptible jusque dans les rangs de la majorité. Il est vrai que la proposition fait peser un air de suspicion sur nos binationaux, un air malsain, qui charrie l’amalgame entre terrorisme et binationalité.

Sur le plan symbolique, la mesure préconisée instaurerait de fait des catégories de Français, une stratification de la communauté nationale que la Constitution, notre norme juridique suprême, porteuse de notre contrat social et de nos valeurs, est appelée à consacrer. Constitutionnaliser la déchéance de nationalité pour les binationaux ne serait rien de moins qu’une victoire idéologique pour les terroristes djihadistes comme pour l’extrême droite. En effet, tous deux s’attaquent aux caractères «une et indivisible» de la République, de la communauté nationale, en suscitant la guerre entre communautés fictives de nature confessionnelle et/ou ethnique. Le Front national comme les islamistes se rejoignent ici : ils ne croient pas dans notre capacité à vivre ensemble, dans notre unité par-delà une diversité de cultures, croyances ou origines.

Outre sa dimension néfaste sur le plan symbolique, la proposition n’a aucun intérêt en droit comme en pratique. Non seulement la menace de déchéance de la nationalité ne saurait dissuader un djihadiste fanatique de passer à l’acte, mais une telle mesure n’apporterait rien à notre Etat de droit. L’article 23-7 du code civil prévoit déjà que tout Français binational - né Français ou naturalisé - peut être déchu de sa nationalité française, s’il «se comporte en fait comme le national d’un pays étranger».

La sauvegarde de la sécurité de nos concitoyens s’impose à tout responsable, elle relève de ses missions impérieuses. Il convient néanmoins de ne pas succomber à une forme de populisme qui amène notamment à stigmatiser nos binationaux. C’est un prix injustifié et inique que l’exécutif souhaite faire payer à des binationaux, comme si la politique sécuritaire était le pendant d’une dérive identitaire. Dans les circonstances actuelles, l’essentiel est de nous rassembler autour des valeurs fondamentales de la République. En cela, l’initiative de l’exécutif est irresponsable et dangereuse pour la République, car elle tend à la diviser et donc à l’affaiblir.
 
Source : http://www.liberation.fr/debats/2015/12/17/contre-la-decheance-de-nationalite-au-nom-de-l-unite-de-la-republique_1421504

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