vendredi 18 décembre 2015

En direct de la COP21 à Paris – Analyse de l’« Accord de Paris » et mobilisations - Rémy Vilain pour CADTM

Au Trocadéro, le samedi 12 décembre à Paris
C’est donc après deux semaines de négociations plus ou moins dures entre les 195 pays-parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) que ces derniers sont parvenus à un « accord historique » selon les dires de certains grands médias. Pourtant il n’en est rien puisque l’Accord de Paris est dépourvu de toutes contraintes, qu’elles soient d’ordres économiques, politiques, écologiques ou énergétiques. Vide aussi car exempt de tous les concepts revendiqués par les mouvements sociaux, écologistes, citoyens qui agissent pour construire un modèle économique et sociale basé sur la justice et la satisfaction des besoins humains fondamentaux pour tous. Ces mouvements s’opposent aux solutions technologiques qui ne font qu’ajouter désordres et destructions. Accord dépassé enfin pour sa capacité à diviser en deux entités bien distinctes les pays dits développés des pays dits en voie de développement et/ou émergents pour faire face aux changements climatiques. 

Lire l'"Accord de Paris en français en cliquant ICI

L’Accord de Paris : mais où sont passés les objectifs chiffrés ?

« Insistant avec une vive préoccupation sur l’urgence […] de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C […]. |1| » Voilà donc les deux seules mentions à des objectifs chiffrés dans ce fameux « accord historique » de Paris d’une quarantaine de page. Exit donc les moyens sur lesquels il faut agir pour y parvenir, exit l’établissement de limitations sur les gaz à effets de serre (GES), sur la décarbonisation de l’économie, sur les extractions, etc.

Par ailleurs, il est intéressant de se pencher sur la manière dont cet accord est écrit. En plus d’un déficit flagrant d’ambition et d’objectifs concrets, ce texte est un vrai « menu à la carte » où les Etats disposent d’une totale liberté pour mener une politique selon leur bon vouloir en vue de stopper les changements climatiques. Les formules courtoises, presque révérencieuses envers les pays dits développés se succèdent dans cet accord contraignant qui n’en a que le nom. La Conférence des parties « invite », « recommande », « convient », « renouvelle » les Etats réunis à ce sommet à, « selon qu’il convient », entreprendre des politiques et des actions qui « pourraient », « devraient » permettre de contenir les effets des changements climatiques, et ce « dans les meilleurs délais ». Bref, ne cherchons pas plus des traces de quelconques exigences au sein de cet accord, puisqu’elles sont tout simplement absentes. Ce constat est du reste renforcé tout au long de cette Convention-cadre sur les changements climatiques pour la simple et bonne raison que chaque Etat est à la fois juge et partie de ses propres engagements, ses propres politiques et de sa propre volonté en matière d’objectif à atteindre et de systèmes alternatifs à mettre en place. Mais n’ayons aucune crainte, rassurons-nous, les gouvernements se rassembleront, de nouveau en 2023 et ensuite tous les cinq ans, pour établir un nouveau bilan afin « d’actualiser et de renforcer leurs mesures […] pour l’action climatique » |2|.

Autre fait choquant, et non des moindres, la persistance de la non-reconnaissance de la dette écologique des pays industrialisés envers les pays dits émergents. Bien que ce texte évoque de façon imperceptible la responsabilité de la première période industrielle, et donc de la responsabilité des pays occidentaux dans le réchauffement climatique et ses impacts (« contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels »), aucune reconnaissance, pas même une allusion appuyée au dépouillement des ressources naturelles d’hier et d’aujourd’hui à l’encontre des pays dits en voie de développement et pourtant principaux concernés par les effets des changements climatiques. Au contraire, la même rhétorique impérialiste et condescendante est une nouvelle fois employée tout au long de cette convention, puisque ce sont les pays développés qui vont majestueusement apporter leur « aide » à la fois financière et logistique et sauver tout un pan entier de la population de par une « volonté d’action humaniste ».

Trêve de plaisanterie, nous sommes donc à des années lumières des revendications exprimées et exigées par le CADTM |3|, c’est-à-dire d’une reconnaissance de la dette climatique et écologique des pays du Nord envers les pays du Sud et d’un versement - sans condition et sans contrepartie de contributions de réparations en dédommagement du pillage perpétré depuis des siècles dans les pays de la Périphérie tout autant que de l’annulation totale des dettes illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables contraignant les pays du Sud à alimenter des politiques extractivistes pour le remboursement de ces dernières.

Cette condescendance, reflet d’un monde toujours plus inégal et dominé par les pays les plus riches, s’exprime de nouveau à travers l’évocation de la justice climatique. La justice climatique – concept fondamental réclamé par l’ensemble de la société civile et les acteurs environnementaux les plus avertis est absolument nécessaire pour entreprendre une transformation du système politique, économique et social en adéquation avec l’urgence climatique –, n’est évoquée qu’une seule fois, de façon marginale et de manière à la rendre insignifiante. En effet, d’après l’Accord de Paris, la justice climatique est seulement reconnue par « certaines cultures » et a une « importance » relative pour « certaines » d’entres-elles. Là où la société civile et les populations en font une revendication majeure et indissociable pour faire face aux changements climatiques, l’Accord de Paris en fait une évocation obsolète et dépourvue d’intérêt.

Cela fait d’ailleurs le lien avec une autre notion totalement absente de ce texte du 12 décembre 2015, celle de la « démocratie énergétique ». Evoquée à plusieurs reprises dans les conférences à la ZAC et à Montreuil, la « démocratie énergétique » qui a pour vocation à insérer populations, mouvements sociaux, société civile et autres acteurs non gouvernementaux dans les prises de décision est tout simplement absente. S’il est effectivement évoqué une « coopération régionale et internationale [… comprenant] la société civile, les communautés locales et les peuples autochtones » |4|, celle-ci n’est qu’une recommandation et en aucun cas une obligation, n’oublions pas cette formule, « selon qu’il convient ». Pire encore, le recours au secteur privé et aux institutions financières internationales revient lui régulièrement et laisse la porte grande ouverte aux partenariats publics-privés (PPP) qui voient fréquemment les intérêts économiques des multinationales privilégiés au détriment de l’intérêt collectif, de notre intérêt à tou.te.s, le salon « Solutions COP21 » du Bourget en étant à la fois un parfait prélude et un parfait exemple.

Bouclons l’analyse de cet accord en nous attardant sur les moyens à mettre en œuvre pour soi-disant « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». Là encore, c’est le désert absolu. Aucune remise en cause du système économique capitaliste et productiviste qui est pourtant par essence en contradiction même avec l’urgence du changement climatique puisque, pour ne relever que cette contradiction, le capitalisme suppose une croissance infinie à partir de ressources naturelles qui sont elles finies. Bien au contraire, « l’innovation doit être au service de la croissance économique » |5| et assurer « le fonctionnement du mécanisme financier ». Mais vers quel modèle nous dirigeons-nous lorsque la seule et unique référence universelle à l’« énergie » est juxtaposée à « atomique » |6| ? Les énergies renouvelables, elles, n’apparaissent qu’une seule fois, et ne semblent être destinées uniquement aux « pays en développement » |7| !

De qui se moque-t-on ? Cet Accord de Paris n’en est définitivement pas un et cette COP21 répond en définitive totalement à ce qui était déjà prévu depuis fort longtemps, un véritable fiasco, une mascarade incarnant toujours plus férocement le fossé qui sépare les populations des gouvernements et de leurs ami.e.s des industries extractivistes. Tant que des priorités telles que la reconnaissance de la dette écologique, la mise en place d’une justice climatique et l’instauration d’une démocratie énergétique (pour ne parler que de ce pan de l’instauration d’une réelle démocratie) ne seront pas mises en place, nous ne pourrons définitivement pas parler « d’accord historique » !

Et du côté des actions, mobilisations et manifestations ?

Alors que les mouvements sociaux ne se faisaient aucune illusion sur les conclusions de cette COP21, et en dépit des événements récents de la mi-novembre à Paris et des mesures anti-démocratiques et anti-constitutionnelles |8| cristallisées dans l’ « état d’urgence » prises par le gouvernement français, la mobilisation a été massive tout au long de ces deux semaines.

Après un dimanche 29 novembre qui a vu les forces de l’ordre françaises réprimer à cœur joie et à grand coups de matraques les manifestant.e.s pacifiques rassemblé.e.s pour l’occasion, on pouvait craindre un certain « no man’s land » dans les rues de Paris. Pourtant, il n’en a rien été puisque ce sont pas moins de 15.000 personnes qui étaient réunies avenue de la Grande Armée ce samedi 12 décembre au sein d’une opération qui avait pour nom « redlines ». Ces « lignes rouges » représentaient physiquement les frontières à ne pas franchir pour ne pas passer outre un réchauffement de 2°C de notre planète. Si certain.e.s étaient déçu.e.s, et à raison, que ce grand appel à la désobéissance civile soit finalement autorisé (et par conséquent contrôlé) par la préfecture de police de Paris, cela n’en reste pas moins une belle victoire des mouvements sociaux. A la fois pour plaider en faveur d’une justice climatique et d’une démocratie énergétique, mais aussi et surtout elle a permis d’ouvrir une brèche dans les mesures imposées par l’état d’urgence. Rassembler autant de personnes en un même lieu alors que cela est tout bonnement proscrit à l’heure actuelle dans l’Etat français est autant pour les populations une réappropriation timide mais certaine de l’espace public qu’une forme véritable de jurisprudence pour toutes les mobilisations à venir en France.

Dans un contexte où les politiques d’austérité mettent toujours plus à mal les conquêtes sociales du siècle dernier, ne doutons pas que les revendications à venir sur les thèmes de la santé, de l’éducation, du travail, des inégalités de genre, etc. pourront s’appuyer sur cette journée pour revendiquer leur droit à manifester et à se faire entendre. Et c’est notamment en cela que ce point d’orgue était nécessaire et indispensable.

N’oublions pas que si effectivement les redlines étaient contrôlées de part et d’autre de l’avenue de la grande armée par d’énormes convois policiers, nous nous sommes nous-mêmes donnés l’autorisation de rejoindre par la manifestation la chaîne humaine de 14h à la Tour Eiffel, et cela ce sont bien les milliers de personnes réunies dans les rues qui l’ont obtenu, sans demander rien à personne.

N’oublions pas non plus les nombreuses actions entreprises et accomplies par divers collectifs dans le cadre des Climate Games |9|, en France et partout ailleurs, à l’encontre des lobbies, des multinationales, de la chambre internationale de commerce |10|, du salon « Solutions COP21 » ou encore de l’appel international à la poursuite de la réquisition de chaises dans les banques adeptes de green-washing en parallèle d’investissements massifs dans les énergies fossiles |11|.

Enfin, n’oublions pas que le 12 décembre sonne certes le glas de la COP21 et de cette Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), mais qu’elle n’a pas mis fin à la conscientisation et à la mobilisation des citoyen.ne.s du monde entier pour renverser un système politique et économique mortifère et destructeur pour les humains et leur environnement. Je terminerai par ce slogan désormais célèbre des Climate Games : « We are nature defending itself » !

Remi Vilain - Permanent au CADTM Belgique
 
 
 |1| Nations-unies (2015). Convention cadre sur les changements climatiques. Accord de Paris. Voir : http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf. Page 2.
|2| Ibid. Page 35.
|3| Voir : Le CADTM se joint à l’état d’urgence climatique !. http://cadtm.org/Le-CADTM-International-se-joint-a
|4| Nations-unies (2015). Convention cadre sur les changements climatiques. Accord de Paris. Voir : http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf. Page 2.
|5| Ibid. Page 32.
|6| Ibid. Page 36.
|7| Ibid. Page 2.
|8| Voir : Etat d’urgence : Valls admet ne pas respecter la Constitution. http://www.politis.fr/Etat-d-urgence-Valls-admet-ne-pas,33107.html
|9| Voir Climate Games. https://www.climategames.net/fr/reports#list-tab
|10| Voir Action pour la justice climatique chez BNP Paribas : http://cadtm.org/Action-pour-la-justice-climatique
|11| Voir Réquisition de chaises dans les banques liégeoises : http://cadtm.org/Requisition-de-chaises-dans-les et En direct de la COP21 à Paris – Brève 1 : http://cadtm.org/En-direct-de-la-COP-21-a-Paris

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