Gauche. Socialistes et communistes revendiquent chacun leur
part de l’héritage du député de Carmaux. Ils livrent dans le contexte
d’aujourd’hui leurs lectures différentes voire antagonistes de sa
pensée.
Figure de proue du mouvement socialiste dans sa version antérieure à
la scission entre socialistes et communistes intervenue en 1920, Jean
Jaurès est revendiqué par tous. 100 ans après son assassinat et alors
que les désaccords entre leurs formations sur la politique nationale
tournent à la confrontation, quatre responsables et élus politiques du
Sud-Est –deux du PS : Jean-David Ciot et Marc Vuillemot, deux du PCF : Alain Hayot et Jean-Michel Carretero– livrent leurs visions de l’héritage du fondateur de L’Humanité.
La paix
Pour Jean-David Ciot, Député-Maire du Puy-Sainte-Réparade et premier Secrétaire fédéral du PS 13 « Jaurès c’est d’abord un partisan de la paix. C’est son dernier combat, celui qu’il n’a pas pu mener », estime-t-il. «
Son "deuxième j’accuse" portait l’idée que les nations et les États
doivent coopérer, agir ensemble pour résoudre leurs problèmes
économiques et sociaux. C’est pourquoi notre engagement profondément
jaurésien et profondément pro-européen. C’est grâce à l’Europe que la
crise de 2010 n’a pas dégénéré en guerre même si on peut ne pas l’aimer
parce qu’elle est aujourd’hui dirigée principalement par des libéraux et
des conservateurs », indique-t-il.
De son côté, Alain Hayot, élu régional et en charge de la Culture au PCF retient les anticipations de Jaurès sur les causes de la guerre : «
la situation en Ukraine ou au Moyen-Orient montre que le capitalisme
dans sa forme financiarisée porte toujours en lui la guerre comme la
nuée porte l’orage ». Quant à Jean-Michel Carretero, militant communiste à l’initiative d’une soirée-débat sur Jaurès
ce soir dans sa commune de Lambesc, il partage cette analyse de la
guerre en cours à Gaza mais ne veut pas faire parler les morts. «
Qu’aurait dit Jaurès de ce conflit ? Impossible de répondre à sa place
mais 100 ans après son assassinat parce qu’il défendait l’unification du
mouvement ouvrier contre la guerre, on a le devoir de se poser la
question ».
Le rassemblement
Marc Vuillemot, Maire PS de la Seyne-sur-Mer voit notamment en Jaurès un «
partisan de l’union des gauches. C’est un rassembleur au sein de la
SFIO où il se retrouve avec Jules Guesde, un marxiste. Il est porteur
d’un message : quand la gauche est unie, ça marche. C’est le Maire
socialiste d’une équipe de gauche unie qui peut en attester : nous avons
gagné sur cette orientation en 2008 et en 2014 quand tant d’autres ont
subi des défaites ». Pour le socialiste varois, Jaurès c’est aussi l’homme qui «
a su dire au moment du bloc des gauches "les réformes sociales ne vont
pas assez vite". En le disant, en rejoignant les positions de
l’internationale socialiste, il n’a pas fait de mal à la gauche. Le dire
aujourd’hui, ne ferait pas de mal à nous, socialistes ».
Pour son camarade Jean-David Ciot, le fait que Jaurès soit cité « autant par Valls que Mélenchon » témoigne de « la portée à la fois universelle et actuelle de sa pensée » et invite à travailler au rassemblement d’une gauche « en train de se diviser entre radicaux et démocrates. Car c’est le seul moyen de sortir le pays de ses difficultés ».
Pour sa part, Alain Hayot pense que, comme pour la République ou la laïcité, la question du rassemblement est indissociable pour Jaurès de son contenu : «
justice sociale, égalité, liberté. Lorsque Valls veut à tout prix le
réconcilier avec Clémenceau, il veut effacer leur différence
fondamentale : l’un soutenait les luttes ouvrières quand l’autre les
réprimait ». « Il y a un paradoxe avec Jaurès : plus les
socialistes s’en éloignent, plus les communistes en font une référence
sans l’opposer à Marx », ajoute le Conseiller régional.
La transformation sociale
Marc Vuillemot considère « Jaurès avant tout
comme un homme qui a refusé le dogme. Intellectuel bourgeois,
républicain social, il s’est construit son propre parcours vers le
socialisme en soutenant les luttes des verriers d’Albi et des mineurs de
Carmaux ». « De même, d’abord convaincu de la culpabilité de
Dreyfus, il est devenu l’un des plus importants défenseur du capitaine à
la lecture des faits. Cette honnêteté intellectuelle serait la
bienvenue aujourd’hui », fait-il remarquer tout en insistant sur la
conception d’une République non-uniforme, portée par Jaurès. « Dans une
période où la langue française était vue comme le moyen de faire passer
les valeurs de la République, Jaurès proposait d’enseigner les langues
minoritaires. C’était un républicain mais pas un centralisateur ni un
jacobin. »
Jean-Michel Carretero rappelle quant à lui que «
Jaurès avait une obsession : résoudre la contradiction apparente entre
réforme et révolution. Pour lui, la réforme n’avait de sens que pour
ouvrir la voie à une transformation de la société. La perspective de
dépasser un système en train de détruire la planète et tous ceux qui
vivent dessus est peut-être encore plus actuelle aujourd’hui qu’à l’orée
du XXe siècle », affirme l’ancien premier Adjoint au Maire de Lambesc. « La préoccupation pour le monde du travail était centrale chez Jaurès, nous en débattrons ce soir avec les Fralib dont la lutte victorieuse pose la question de la propriété sociale des moyens de production ».
En désaccord, Jean-David Ciot pense pour sa part que Jaurès a «
fabriqué le PS tel qu’il est parce qu’il reconnaît l’économie de marché
tout en militant pour la réguler et en soutenant de grandes avancées
sociales pour les travailleurs. Il ne réclamait pas la mort des
capitalistes et des patrons mais voulait que les salariés puissent
prendre leur place à part entière dans les entreprises. Le corpus social
du PS est héritier de cet engagement pour faire avancer les droits des
salariés ».
En revanche, pour Alain Hayot « Marx –dégagé de
sa gangue stalinienne– et Jaurès n’ont rien d’incompatible. Dans ses
Études socialistes, il écrivait : "le communisme doit être l’idée
directrice et visible de tout le mouvement" ou encore : "Ces grands
changements sociaux qu’on nomme des révolutions ne peuvent pas ou ne
peuvent plus être l’œuvre d’une minorité. Il y faut le concours,
l’adhésion de la majorité, de l’immense majorité" ». Pour l’élu communiste, «
la pensée de Jaurès était d’une très grande radicalité. Elle était
extraordinairement démocratique, sociale et culturelle. J’ai la
conviction que les communistes, qui portent cette radicalité et en même
temps cette démarche rassembleuse, démocratique et humaniste, sont les
plus en phase avec ce que défendait Jaurès », conclut-il.
Vieille de 100 ans, la querelle semble encore avoir de beaux jours devant elle.
Léo Purguette (La Marseillaise, le 31 juillet 2014)
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