lundi 4 août 2014

Jaurès conjugué au passé composite

Gauche. Socialistes et communistes revendiquent chacun leur part de l’héritage du député de Carmaux. Ils livrent dans le contexte d’aujourd’hui leurs lectures différentes voire antagonistes de sa pensée.

Figure de proue du mouvement socialiste dans sa version antérieure à la scission entre socialistes et communistes intervenue en 1920, Jean Jaurès est revendiqué par tous. 100 ans après son assassinat et alors que les désaccords entre leurs formations sur la politique nationale tournent à la confrontation, quatre responsables et élus politiques du Sud-Est –deux du PS : Jean-David Ciot et Marc Vuillemot, deux du PCF : Alain Hayot et Jean-Michel Carretero– livrent leurs visions de l’héritage du fondateur de L’Humanité.


La paix

Pour Jean-David Ciot, Député-Maire du Puy-Sainte-Réparade et premier Secrétaire fédéral du PS  13 « Jaurès c’est d’abord un partisan de la paix. C’est son dernier combat, celui qu’il n’a pas pu mener », estime-t-il. « Son "deuxième j’accuse" portait l’idée que les nations et les États doivent coopérer, agir ensemble pour résoudre leurs problèmes économiques et sociaux. C’est pourquoi notre engagement profondément jaurésien et profondément pro-européen. C’est grâce à l’Europe que la crise de 2010 n’a pas dégénéré en guerre même si on peut ne pas l’aimer parce qu’elle est aujourd’hui dirigée principalement par des libéraux et des conservateurs », indique-t-il.

De son côté, Alain Hayot, élu régional et en charge de la Culture au PCF retient les anticipations de Jaurès sur les causes de la guerre  : « la situation en Ukraine ou au Moyen-Orient montre que le capitalisme dans sa forme financiarisée porte toujours en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Quant à Jean-Michel Carretero, militant communiste à l’initiative d’une soirée-débat sur Jaurès ce soir dans sa commune de Lambesc, il partage cette analyse de la guerre en cours à Gaza mais ne veut pas faire parler les morts. « Qu’aurait dit Jaurès de ce conflit ? Impossible de répondre à sa place mais 100 ans après son assassinat parce qu’il défendait l’unification du mouvement ouvrier contre la guerre, on a le devoir de se poser la question ».

Le rassemblement

Marc Vuillemot, Maire PS de la Seyne-sur-Mer voit notamment en Jaurès un « partisan de l’union des gauches. C’est un rassembleur au sein de la SFIO où il se retrouve avec Jules Guesde, un marxiste. Il est porteur d’un message : quand la gauche est unie, ça marche. C’est le Maire socialiste d’une équipe de gauche unie qui peut en attester : nous avons gagné sur cette orientation en 2008 et en 2014 quand tant d’autres ont subi des défaites ». Pour le socialiste varois, Jaurès c’est aussi l’homme qui « a su dire au moment du bloc des gauches "les réformes sociales ne vont pas assez vite". En le disant, en rejoignant les positions de l’internationale socialiste, il n’a pas fait de mal à la gauche. Le dire aujourd’hui, ne ferait pas de mal à nous, socialistes ».

Pour son camarade Jean-David Ciot, le fait que Jaurès soit cité « autant par Valls que Mélenchon » témoigne de « la portée à la fois universelle et actuelle de sa pensée » et invite à travailler au rassemblement d’une gauche « en train de se diviser entre radicaux et démocrates. Car c’est le seul moyen de sortir le pays de ses difficultés ».

Pour sa part, Alain Hayot pense que, comme pour la République ou la laïcité, la question du rassemblement est indissociable pour Jaurès de son contenu : « justice sociale, égalité, liberté. Lorsque Valls veut à tout prix le réconcilier avec Clémenceau, il veut effacer leur différence fondamentale : l’un soutenait les luttes ouvrières quand l’autre les réprimait ». « Il y a un paradoxe avec Jaurès : plus les socialistes s’en éloignent, plus les communistes en font une référence sans l’opposer à Marx », ajoute le Conseiller régional.

La transformation sociale

Marc Vuillemot considère « Jaurès avant tout comme un homme qui a refusé le dogme. Intellectuel bourgeois, républicain social, il s’est construit son propre parcours vers le socialisme en soutenant les luttes des verriers d’Albi et des mineurs de Carmaux ». « De même, d’abord convaincu de la culpabilité de Dreyfus, il est devenu l’un des plus importants défenseur du capitaine à la lecture des faits. Cette honnêteté intellectuelle serait la bienvenue aujourd’hui », fait-il remarquer tout en insistant sur la conception d’une République non-uniforme, portée par Jaurès. « Dans une période où la langue française était vue comme le moyen de faire passer les valeurs de la République, Jaurès proposait d’enseigner les langues minoritaires. C’était un républicain mais pas un centralisateur ni un jacobin. »

Jean-Michel Carretero rappelle quant à lui que « Jaurès avait une obsession : résoudre la contradiction apparente entre réforme et révolution. Pour lui, la réforme n’avait de sens que pour ouvrir la voie à une transformation de la société. La perspective de dépasser un système en train de détruire la planète et tous ceux qui vivent dessus est peut-être encore plus actuelle aujourd’hui qu’à l’orée du XXe siècle », affirme l’ancien premier Adjoint au Maire de Lambesc. « La préoccupation pour le monde du travail était centrale chez Jaurès, nous en débattrons ce soir avec les Fralib dont la lutte victorieuse pose la question de la propriété sociale des moyens de production ».

En désaccord, Jean-David Ciot pense pour sa part que Jaurès a « fabriqué le PS tel qu’il est parce qu’il reconnaît l’économie de marché tout en militant pour la réguler et en soutenant de grandes avancées sociales pour les travailleurs. Il ne réclamait pas la mort des capitalistes et des patrons mais voulait que les salariés puissent prendre leur place à part entière dans les entreprises. Le corpus social du PS est héritier de cet engagement pour faire avancer les droits des salariés ».

En revanche, pour Alain Hayot « Marx –dégagé de sa gangue stalinienne– et Jaurès n’ont rien d’incompatible. Dans ses Études socialistes, il écrivait : "le communisme doit être l’idée directrice et visible de tout le mouvement" ou encore : "Ces grands changements sociaux qu’on nomme des révolutions ne peuvent pas ou ne peuvent plus être l’œuvre d’une minorité. Il y faut le concours, l’adhésion de la majorité, de l’immense majorité" ».  Pour l’élu communiste, « la pensée de Jaurès était d’une très grande radicalité. Elle était extraordinairement démocratique, sociale et culturelle. J’ai la conviction que les communistes, qui portent cette radicalité et en même temps cette démarche rassembleuse, démocratique et humaniste, sont les plus en phase avec ce que défendait Jaurès », conclut-il.

Vieille de 100 ans, la querelle semble encore avoir de beaux jours devant elle.

Léo Purguette (La Marseillaise, le 31 juillet 2014)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour publier votre commentaire :
1/ Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie (blanc) ci-dessous
2/ Identifiez-vous dans la liste déroulante : Soit Noms/URL si vous souhaitez laisser votre nom soit Anonyme
3/ Cliquez sur Publier