lundi 4 août 2014

Les luttes des ouvriers cimentiers bédoulens

Histoire. Il y a un siècle, le village connaissait son apogée industrielle et les premières grèves pour l’amélioration de la condition ouvrière. Aujourd'hui, seules des friches portent témoignage de ce passé.

Il suffit parfois d’un tout petit rien, d’un coup de pouce du destin, de la conjonction de deux faits indépendants pour que, sur une période donnée, la vie d’un village devienne plus intense et riche en événements historiques.


Dès le XIXe siècle, des industriels ont exploité les ressources naturelles des collines bédoulennes, riches en calcaire et en marnes, pour produire dans des usines implantées sur le territoire communal de la chaux destinée essentiellement à l’agriculture.

En 1832, un jeune et brillant diplômé de l’Ecole Polytechnique (promotion 1822 classé 4e sur 90) et de l’Ecole des mines dénommé Benoît Hyppolite de Villeneuve-Flayosc qui eut, entre autres, professeurs les physiciens Ampère et Gay Lussac, épousa la fille du général de Gardanne et reçu en dot le château de Roquefort. Le jeune couple s’y installa.

En collaboration avec Tocchi, un ingénieur italien dont un quartier du village porte le nom, il élabora en 1836 un procédé de fabrication du ciment à partir des roches bédoulennes. Ayant du mal à vendre son brevet à des industriels, le jeune homme décida à créer, à La Bédoule, sa propre usine en 1837. Ce fut le début de l’âge d’or des cimenteries qui se sont multipliées comme des petits pains. La plus grande, propriété des établissements Romain Boyer, fut construite en 1885 aux Fourniers.

Cette activité florissante attira une main d’œuvre internationale, composée majoritairement de travailleurs immigrés italiens fuyant leur pays par peur du fascisme ou par nécessité économique (au début des années 20, ils étaient même majoritaires dans la commune). Avec leurs familles, ils s’installèrent autour du carrefour des quatre chemins où de nombreux bars (en provençal bédoulo d’où La Bédoule) les attendaient le soir après le travail.

La première grève en 1901

L’avènement de la IIIe République, les idées novatrices du socialisme naissant, le combat de Jean Jaurès pour l’amélioration de la condition ouvrière et les différentes luttes pour une vie meilleure dans l’Hexagone incitèrent les travailleurs bédoulens à se regrouper au sein de syndicats ou cercles politiques comme le Cercle républicain des travailleurs, qui fête cette année ses 135 ans d’existence).

En 1901 le syndicat unitaire des travailleurs de la chaux et du ciment dirigé par Jules Audiffren, futur Conseiller municipal socialiste, et soutenu par le Cercle, déclencha la première grève. Les travailleurs de la chaux et du ciment réclamaient une augmentation de salaire et la suppression de la retenue faite par les employeurs pour l’assurance accident de travail.

Après 99 jours de grève, les ouvriers des usines Villeneuve obtinrent gain de cause, ceux des usines Romain Boyer et Lafarge continuèrent le mouvement. La population prit le parti des ouvriers en lutte. Excédés, les patrons firent appel à la force publique qui procéda à de nombreuses arrestations dans les rangs des travailleurs italiens, ce qui eut pour effet d’attiser la colère de la population. L’un d’entre eux, Compolongni, expulsé, devint Député socialiste dans son pays. Des contremaîtres, Valentin Agnel et ses deux fils, Marius et Jules, qui avaient pris position en faveur des ouvriers, furent licenciés.

En 1910, une autre grève fut durement réprimée par les cavaliers de la Gendarmerie et de nombreux blessés furent dénombrés. Les socialistes remportèrent les élections municipales de la même année.

L’agitation ouvrière s’est amplifiée à partir de 1928 à cause d’un chômage grandissant  provoqué par la fermeture progressive de toutes les usines à chaux et ciments pour des raisons structurelles et économiques. Les commerces fermaient, des familles entières partaient chercher de quoi survivre ailleurs.

Un Député communiste en 1936

Les luttes continuèrent même après l’avènement du Front Populaire en 1936. En mai de cette année, un Député communiste, Antoine Kristos, obtint la majorité absolue au premier tour des Législatives et, en juin, une grande grève générale avec occupation d’usines qui dura 17 jours permit la signature d’une convention collective qui améliorait les conditions de travail des ouvriers cimentiers. Les usines de Fos, Valdonne et l’Estaque s’étaient jointes au mouvement déclenché par de jeunes syndicalistes de La Bédoule parmi lesquels Roger Rovali et Alfred Filli.

Marius Aimonetto, qui fut Maire du village de 1945 à 1983 et dont l’ouvrage Les cent ans du Cercle républicain, écrit en 1971, décrit de manière admirable la vie du village sur un siècle, a résumé cette année capitale pour les travailleurs par ces mots : « En cette année 1936, Roquefort-la-Bédoule a vécu des heures exaltantes où tout un village s’est battu au coude à coude pour le pain, la paix et la liberté. »
En 1939, peu de temps avant la guerre, il n’existait plus que trois fours à chaux grasse pour l’agriculture. Le village se mourrait et on entendait déjà les bruits de bottes des soldats de l’Allemagne nazie.

Aujourd’hui le village est un petit coin de Provence où il fait bon vivre. On ne vante plus sur des panonceaux placés à ses entrées que son vignoble et la beauté de ses collines (même si la zone d’activités de la Plaine du Caïre est en pleine expansion).

Il ne reste de cette période de l’histoire communale que des friches industrielles, des cheminées de four à chaux fièrement dressées vers le ciel qui, telles des sentinelles, montent la garde pour préserver la mémoire et témoigner de ce riche passé.

Guy Goulet (La Marseillaise, le 3 août 2014)

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