Histoire. Il y a un siècle, le village connaissait son
apogée industrielle et les premières grèves pour l’amélioration de la
condition ouvrière. Aujourd'hui, seules des friches portent témoignage
de ce passé.
Il suffit parfois d’un tout petit rien, d’un coup de pouce du destin,
de la conjonction de deux faits indépendants pour que, sur une période
donnée, la vie d’un village devienne plus intense et riche en événements
historiques.
Dès le XIXe siècle, des industriels ont exploité les ressources
naturelles des collines bédoulennes, riches en calcaire et en marnes,
pour produire dans des usines implantées sur le territoire communal de
la chaux destinée essentiellement à l’agriculture.
En 1832, un jeune et brillant diplômé de l’Ecole Polytechnique
(promotion 1822 classé 4e sur 90) et de l’Ecole des mines dénommé Benoît Hyppolite
de Villeneuve-Flayosc qui eut, entre autres, professeurs les physiciens
Ampère et Gay Lussac, épousa la fille du général de Gardanne et reçu en
dot le château de Roquefort. Le jeune couple s’y installa.
En collaboration avec Tocchi, un ingénieur italien
dont un quartier du village porte le nom, il élabora en 1836 un procédé
de fabrication du ciment à partir des roches bédoulennes. Ayant du mal à
vendre son brevet à des industriels, le jeune homme décida à créer, à
La Bédoule, sa propre usine en 1837. Ce fut le début de l’âge d’or des
cimenteries qui se sont multipliées comme des petits pains. La plus
grande, propriété des établissements Romain Boyer, fut construite en
1885 aux Fourniers.
Cette activité florissante attira une main d’œuvre internationale,
composée majoritairement de travailleurs immigrés italiens fuyant leur
pays par peur du fascisme ou par nécessité économique (au début des
années 20, ils étaient même majoritaires dans la commune). Avec leurs
familles, ils s’installèrent autour du carrefour des quatre chemins où
de nombreux bars (en provençal bédoulo d’où La Bédoule) les attendaient
le soir après le travail.
La première grève en 1901
L’avènement de la IIIe République, les idées novatrices du socialisme naissant, le combat de Jean Jaurès
pour l’amélioration de la condition ouvrière et les différentes luttes
pour une vie meilleure dans l’Hexagone incitèrent les travailleurs
bédoulens à se regrouper au sein de syndicats ou cercles politiques
comme le Cercle républicain des travailleurs, qui fête cette année ses
135 ans d’existence).
En 1901 le syndicat unitaire des travailleurs de la chaux et du ciment dirigé par Jules Audiffren,
futur Conseiller municipal socialiste, et soutenu par le Cercle,
déclencha la première grève. Les travailleurs de la chaux et du ciment
réclamaient une augmentation de salaire et la suppression de la retenue
faite par les employeurs pour l’assurance accident de travail.
Après 99 jours de grève, les ouvriers des usines Villeneuve obtinrent
gain de cause, ceux des usines Romain Boyer et Lafarge continuèrent le
mouvement. La population prit le parti des ouvriers en lutte. Excédés,
les patrons firent appel à la force publique qui procéda à de nombreuses
arrestations dans les rangs des travailleurs italiens, ce qui eut pour
effet d’attiser la colère de la population. L’un d’entre eux, Compolongni, expulsé, devint Député socialiste dans son pays. Des contremaîtres, Valentin Agnel et ses deux fils, Marius et Jules, qui avaient pris position en faveur des ouvriers, furent licenciés.
En 1910, une autre grève fut durement réprimée par les cavaliers de
la Gendarmerie et de nombreux blessés furent dénombrés. Les socialistes
remportèrent les élections municipales de la même année.
L’agitation ouvrière s’est amplifiée à partir de 1928 à cause d’un
chômage grandissant provoqué par la fermeture progressive de toutes les
usines à chaux et ciments pour des raisons structurelles et
économiques. Les commerces fermaient, des familles entières partaient
chercher de quoi survivre ailleurs.
Un Député communiste en 1936
Les luttes continuèrent même après l’avènement du Front Populaire en 1936. En mai de cette année, un Député communiste, Antoine Kristos,
obtint la majorité absolue au premier tour des Législatives et, en
juin, une grande grève générale avec occupation d’usines qui dura 17
jours permit la signature d’une convention collective qui améliorait les
conditions de travail des ouvriers cimentiers. Les usines de Fos,
Valdonne et l’Estaque s’étaient jointes au mouvement déclenché par de
jeunes syndicalistes de La Bédoule parmi lesquels Roger Rovali et Alfred Filli.
Marius Aimonetto, qui fut Maire du village de 1945 à
1983 et dont l’ouvrage Les cent ans du Cercle républicain, écrit en
1971, décrit de manière admirable la vie du village sur un siècle, a
résumé cette année capitale pour les travailleurs par ces mots : «
En cette année 1936, Roquefort-la-Bédoule a vécu des heures exaltantes
où tout un village s’est battu au coude à coude pour le pain, la paix et
la liberté. »
En 1939, peu de temps avant la guerre, il n’existait plus que trois
fours à chaux grasse pour l’agriculture. Le village se mourrait et on
entendait déjà les bruits de bottes des soldats de l’Allemagne nazie.
Aujourd’hui le village est un petit coin de Provence où il fait bon
vivre. On ne vante plus sur des panonceaux placés à ses entrées que son
vignoble et la beauté de ses collines (même si la zone d’activités de la
Plaine du Caïre est en pleine expansion).
Il ne reste de cette période de l’histoire communale que des friches
industrielles, des cheminées de four à chaux fièrement dressées vers le
ciel qui, telles des sentinelles, montent la garde pour préserver la
mémoire et témoigner de ce riche passé.
Guy Goulet (La Marseillaise, le 3 août 2014)
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