Histoire. Le centenaire de l’assassinat de
Jean Jaurès permet de revenir sur l’incroyable vie de cette personnalité
hors du commun, homme politique et journaliste, courageux et
intelligent.
31 juillet 1914. Au Café du croissant, au centre de Paris, Jean Jaurès
est atteint à la tête par deux balles tirées par Raoul Villain, membre
de la ligue ultra-nationaliste des jeunes amis d’Alsace Lorraine. Le
principal opposant à la guerre est tué. Le lendemain, l’Allemagne
mobilise. Le 3 août, elle déclare la guerre à la France. Le pays entre
dans la tourmente de la première guerre mondiale. La gauche pacifiste
bascule dans « l’union sacrée » patriotique pour faire face à l’agresseur allemand.
Aujourd’hui, partout dans le pays des manifestations célèbrent ce
triste anniversaire. Élément central d’une année globalement consacrée
au fondateur de l’Humanité via des émissions télé, des conférences, des
ouvrages ou encore des expositions comme « Jaurès contemporain » au Panthéon où il est entré en 1924.
Pacifiste, Jean Jaurès n’était cependant pas
aveugle. Reconnaissant la nécessité d’un peuple de se défendre, il écrit
ainsi L’armée nouvelle où il pose les bases du service national à
l’opposé d’une armée de métier. En revanche, il est convaincu qu’il faut
tout faire pour éviter cette guerre. Car il la pressent extrêmement
meurtrière, car il y voit le résultat de stratégies politiques nouées
sans idée de l’ampleur du drame que cela va enclencher, car il est
convaincu que l’alliance internationale des peuples peut mettre un hola à
cette course vers le chaos.
« Ici que Jean Jaurès est devenu Jaurès »
C’est à cette capacité d’analyse que l’on rend aujourd’hui hom- mage. Mais pas seulement. A Carmaux, où Jaurès
est né, et Cagnac, les deux musées (du verre et de la mine) consacrent
des salles spécifiques permettant d’éclairer l’ensemble de l’œuvre de
celui qui a fait des ouvriers sa cause principale. Le musée de Cagnac
met en exergue de son exposition « Jaurès et les mineurs » une phrase de celui qui a été plusieurs fois élu Député : «
dans l’esprit de beaucoup des patrons, le droit des ouvriers est
précaire et révocable et cesse dès qu’ils en font un usage qui déplaît
au patron lui-même ». « C’est ici que Jean Jaurès est devenu Jaurès » explique Laurent Subra, directeur du musée du verre, «
en s’engageant à fond en 1892 dans la première grève politique des
mineurs pour arracher l’intégration d’un syndicaliste licencié alors
qu’il venait d’être élu Maire de Carmaux, le premier Maire socialiste de
la ville ». Ce musée rend hommage à un autre combat : défendre
deux syndicalistes licenciés de la verrerie Rességuier de Carmaux, pour
avoir été absents afin de participer à un séminaire à Marseille. Jaurès
en fera une affaire nationale. Une affaire qui aboutira à une
souscription permettant de créer une coopérative appartenant aux
travailleurs : la Verrerie ouvrière d’Albi qui n’a abandonné son statut
coopératif qu’en 1989.
Mais la biographie de Jaurès ne se résume pas à ses importants
combats pour la liberté syndicale, pour les droits des ouvriers ou le
contrôle de l’État sur les entreprises. C’est aussi le fondateur du
journal L’Humanité en 1904, un des principaux acteurs de l’unification
de la gauche en Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) en
1905, année durant laquelle il participe aussi à la rédaction de la loi
de séparation de l’Église et de l’État. Sans oublier l’affaire Dreyfus :
après avoir été convaincu de sa culpabilité, il inverse son analyse en
apprenant la production de faux à charge par le colonel Henry et devient
alors un de ses plus ardents défenseurs en publiant notamment « Les preuves ». Ni sous-estimer son combat contre le colonialisme. Après une jeunesse acquiesçant au fait colonial, Jaurès vieillit, voyage, s’informe et comprend que «
La politique coloniale est la conséquence la plus déplorable du régime
capitaliste, qui est obligé de se créer au loin, par la conquête et la
violence, des débouchés nouveaux » comme il l’écrit dans un article de 1896 publié dans La petite République.
La Marseillaise, le 31 juillet 2014
Révolution
En ce 31 juillet 1914, la voix puissante et visionnaire de Jean Jaurès
s’éteignait, assassinée par un ultra nationaliste. La paix n’avait plus
qu’un jour à vivre. Le lendemain, la barbarie guerrière qui conduira à
l’anéantissement de millions de personnes était lancée.
Jusqu’à ses dernières minutes, jusqu’à épuisement, il avait combattu
pour arracher cette paix en France mais aussi en Allemagne. Conscient
que les peuples -et notamment les ouvriers français et allemands- ne
seraient que de la chair à canon au profit des grands intérêts
économiques et des rivalités impérialistes. Ce fut sa dernière bataille.
Mais elle porte en elle toutes les vertus de ses autres engagements.
Jaurès, le socialiste qui puise la vitalité de son inspiration au contact des mineurs, des travailleurs, du peuple.
Jaurès, l’internationaliste et donc l’homme de paix
qui hait les nationalismes exacerbés car ils manipulent des hommes et
des femmes aux intérêts convergents.
Jaurès, le combattant de toutes les injustices et
des droits nouveaux. Jaurès, le militant et le Député qui a révolutionné
la gauche française. Révolutionné, le terme est obligatoire et devrait
balayer les médiocres débats et les récupérations honteuses de l’œuvre
politique du grand homme. Il était d’inspiration réformiste, nous
assènent aujourd’hui ceux qui sabordent les grandes valeurs de gauche.
Comme pour mieux justifier leur renoncement. En fait, Jaurès portait les
réformes comme un étendard vers son unique horizon : changer la
société, changer la vie. Existe-il un message plus émancipateur, plus
révolutionnaire ?
Christian Digne (La Marseillaise, le 31 juillet 2014)
Repères
1859. Naissance à Castres dans une famille de la
petite bourgeoise Agrégé de philosophie, il sera un temps professeur.
Marié et père de deux enfants dont un fils, Paul, engagé volontaire et
mort en 1918.
Politique. Il commence sa carrière comme Député
républicain puis adhère au socialisme. Elu sous cette étiquette en 1893,
il est battu en 1898 par celui qu’il a combattu aux côté des mineurs de
Carmaux. Il reconquiert le siège en 1902 et le garde jusqu’à sa mort.
Journalisme. En 1887, il collabore à ce qui
deviendra la Dépêche du midi. En 1898, il codirige La Petite République.
En 1904, il fonde le quotidien L’Humanité. Parmi les premiers
collaborateurs : Octave Mirbeau, Anatole France et Jules Renard.
Écrits. Jean Jaurès a publié plus
d’une vingtaine d’ouvrages dont Les preuves (sur l’affaire Dreyfus),
l’Armée nouvelle, Le Discours à la jeunesse, Histoire socialiste de la
révolution française… Depuis 2010, les Éditions Fayard ont entrepris de
publier les œuvres de Jaurès.
1892. Grève des mineurs de Carmaux en soutien à leur camarade licencié pour avoir été élu Maire. Sadi Carnot envoie l’armée. Jaurès soutient les grévistes et obligera le gouvernement à faire de même.
La Marseillaise, le 31 juillet 2014
.......
Taisez-vous et laissez parler Jaurès
À l'occasion du centenaire de la mort de Jean Jaurès, déclaration de Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF.
« Je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire. » Oui, Jean Jaurès, ce militant de la civilisation humaine, cet infatigable défenseur de la paix et du progrès, était un révolutionnaire de son temps, avec son temps. Aux libres interprètes contemporains de gauche ou de droite voire d'extrême droite qui cherchent à l'enrôler, pour ne pas dire à l’usurper, nous disons aujourd’hui, cent ans après que les deux balles tirées à bout portant par Raoul Villain lui ait fauché la vie : « taisez vous et laissez parler Jaurès ». Pas une page qui ne dise en effet son ardent désir de libérer l’humanité. Dans notre France de 2014, Jaurès a fort à nous dire. Oui, laissons là les usurpateurs et écoutons cette voix forte, chaleureuse, généreuse d'un homme enraciné dans la réalité vivante du peuple et agissant sans relâche pour les valeurs universelles d'humanisme qui fondèrent le socialisme français.
La guerre tue à Gaza, en Irak, en Syrie, en Lybie. La guerre, c’est pour préparer la paix, nous disent-ils encore. Mais la guerre appelle la guerre et toujours plus de barbarie. Où sont les leçons de Jaurès ? « Si chauvins de France et d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations le regard et la mémoire des hommes ». La souillure est là. Mais Jaurès n’avait pas seulement alerté, il avait dit la cause : « tant que dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possédera les grands moyens de production et d’échange (…), tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi qui est la concurrence illimitée (…), il y aura des germes de guerre. »
Jean Jaurès n’a jamais renoncé. « J'espère encore malgré tout... » Jusque dans les derniers discours qu'il prononce, à quelques jours de la déclaration la guerre meurtrière, Jaurès affirme avec ardeur la force de l'optimisme qui a été le socle de son engagement. Un optimisme qui anime tous ses combats pour la paix, la justice et la liberté. Jaurès porte, face à l'adversité la plus féroce, son message avec conviction : « les capitalistes sentent, quoi qu'ils fassent, que l'avenir est leur ennemi ». Il avait, comme nous devrions l'avoir, une confiance inébranlable en la force de l'humanité à se libérer d’un capitalisme qui l’entrave. « La peur resserre ; l'espérance dilate » disait-il. Le fatalisme, aujourd’hui érigé en doctrine d’État, ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pour Jaurès, la solidarité humaine, le sentiment de justice, le désir d'émancipation ne sont pas des rêves stériles mais le moteur même de toute vie authentiquement humaine. Neuf millions de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté quand les plus riches augmentent leur revenu de 20% en un an, la France cinquième puissance mondiale et championne d'Europe en nombre de millionnaires ! « Cherchez l'erreur » nous aurait dit Jaurès. Et il aurait, avec nous, chercher la solution.
Pour Jaurès, révolutionner la société, c’est sans cesse réformer. « L’évolution révolutionnaire » ,comme il l’écrira. Il est d’une grande constance sur cette question. Pour lui, il n'y a pas d'autre voie pour aller vers une révolution durable que des réformes déterminées avec et dans l'intérêt du peuple. Penser la révolution sans penser aux réformes possibles -ici et maintenant- c'est être paralysé. Réformer sans avoir l'idéal « toujours discernable en chacun de ses actes, en chacune de ses paroles » c'est être aveugle. Avec lui, nous refusons effectivement la paralysie et l’aveuglement.
Ceux qui maquillent leurs mesures de régression sociale et économique derrière les mots de Jaurès ne peuvent faire illusion. La réforme exige une hauteur de vue à mille lieues du réformisme néo libéral d'aujourd'hui qui ne fait que mettre en œuvre ce qui est présenté comme inéluctable et sans alternative. Pour les gouvernements successifs la réforme n'est plus un choix qu'on incarne mais une obligation dictée par le Medef et les marchés qu'on met en forme. Reprendre le chemin de réformes sociales authentiques dans l’esprit de l’évolution révolutionnaire de Jaurès, c’est aujourd’hui la seule alternative à la barbarie soft qui nous est chaque jour imposée.
A l’inverse du détournement de sens actuel, Jaurès plaide pour le progrès permanent de la démocratie sociale et politique comme une seule même cause. Il le comprend très tôt. La République ne peut plus l’être à moitié, elle sera sociale ou ne sera pas vraiment la République.
« Ce qui manque à la démocratie c'est la confiance en soi-même… » L’inébranlable optimisme de Jaurès c'était par un même mouvement, une confiance vissée au corps en la démocratie. Il croit à la politique pour le gouvernement du peuple par lui-même : « là où les partis n’existent pas, soit parce qu’un groupe en a tué un autre, soit parce que le pessimisme s’est emparé de l’esprit public, on court le risque que les oligarchies se substituent à la classe même au nom de laquelle elles gouvernent. » Le changement de la société : c’est l'affaire du peuple et des individus libres qui le composent martèle-t-il. A la fin de son histoire du socialisme Jaurès dit « créer la démocratie en la dépassant a été, durant un grand siècle tourmenté et fécond, l'œuvre de la classe ouvrière. Diriger la démocratie en la dépassant et l'obliger enfin à se hausser au socialisme, ce sera sa grande œuvre de demain. » Voilàencore une clé pour aujourd’hui.
Toute sa vie durant, il creusera les chemins possibles, concrets d’une conquête de la propriété et de la coopération sociales : « le jour où dans la société transformée tous les hommes seront propriétaires associés ; le jour où par une série de transformations légales les salariés et prolétaires d’aujourd’hui seront avec tous les individus de la société des coopérants … », déclare-t-il dans un célèbre discours prononcé en Amérique latine.
Là encore, il traque la guerre, celle qui fait du « tous contre tous » la logique du système. « Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie (…) un régime de concorde sociale et d’unité ».
Et lui ne se trompe pas d’adversaire. Il dénonce « le capitalisme international qui va chercher la main d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie (…) , pour amener partout dans le monde des salaires au niveau des pays où ils sont les plus bas ». Il plaide pour « la communauté universel du droit social », où « toutes les nations apprendront à respecter chez l’étranger un homme et un frère. » Il appelle le 28 juin 1914, un mois avant la guerre, à « assurer un salaire minimum aux travailleurs étrangers ou français de façon à prévenir l’effet déprimant de concurrence » et à « protéger les ouvriers étrangers contre l’arbitraire administratif et policier pour qu’ils puissent s’organiser avec leurs camarades de France et lutter solidairement avec eux sans crainte d’expulsions ».
Voilà pour ceux qui parlent de Jaurès pour mieux étouffer sa voix. Ne les laissons pas faire ! En ces temps de nouveau troublés, où le doute est cultivé sur les valeurs héritées du siècle des Lumières et de la révolution française, en ces temps où liberté, égalité, fraternité sont tenues pour des mots sans effets, en ces temps où l’extrême droite distille son venin réactionnaire, nous devons agir dans les pas de Jaurès pour mettre fin à la guerre économique, pour promouvoir la coopération entre tous et chacun. Sinon, aujourd’hui comme hier, ainsi que le disait Jaurès, dans cette nuée dormante se développe l’orage des politiques agressives et destructrices de demain. « On ne pourra relever la patrie, relever l'Europe, qu'en abaissant le capitalisme », Jaurès avait raison !
Son cri est d’abord un cri de liberté. « Le but c’est l’affranchissement de tous les individus humains. Le but c’est l’individu. » Il est patriote mais pour lui « la patrie n’est pas un absolu, elle est un moyen de liberté et de justice. ». Pour Jaurès, l’individu est la fin suprême. La liberté est la valeur absolue du socialisme. Contre l’égoïsme réactionnaire et asservissant des capitalistes de l’époque il défend l’égoïsme égalitaire et universel des prolétaires. Il veut des citoyens « copropriétaires des moyens de production », et c’est ainsi, écrit-il, que « toute la nation sera comme une immense assemblée possédante et dirigeante ».
Jaurès, c’est l’optimisme. Et notre chemin face à tous ceux qui nous veulent que nous courbions l’échine, et répandent à dessein le pessimisme jusqu’au plus profond du cœur de la nation. La peur : voilà l’arme des nouvelles oligarchies. La peur : voilà le grand ennemi de l’immense majorité que nous sommes. A nous de suivre aujourd’hui Jaurès pour que la peur change de camp, pour avancer en faisant nôtre, en ce jour symbolique, la devise de Jaurès « ni haine, ni renoncement ! ».
Pour nous, les héritiers de Jaurès et de Babeuf, qu’il nommait lui-même « notre grand communiste », l’égalité et le partage sont l’essence de notre combat d’aujourd’hui, l’issue pour sortir de la crise, pour construire une société du bien commun. N’attendons pas pour être heureux !
« Je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire. » Oui, Jean Jaurès, ce militant de la civilisation humaine, cet infatigable défenseur de la paix et du progrès, était un révolutionnaire de son temps, avec son temps. Aux libres interprètes contemporains de gauche ou de droite voire d'extrême droite qui cherchent à l'enrôler, pour ne pas dire à l’usurper, nous disons aujourd’hui, cent ans après que les deux balles tirées à bout portant par Raoul Villain lui ait fauché la vie : « taisez vous et laissez parler Jaurès ». Pas une page qui ne dise en effet son ardent désir de libérer l’humanité. Dans notre France de 2014, Jaurès a fort à nous dire. Oui, laissons là les usurpateurs et écoutons cette voix forte, chaleureuse, généreuse d'un homme enraciné dans la réalité vivante du peuple et agissant sans relâche pour les valeurs universelles d'humanisme qui fondèrent le socialisme français.
La guerre tue à Gaza, en Irak, en Syrie, en Lybie. La guerre, c’est pour préparer la paix, nous disent-ils encore. Mais la guerre appelle la guerre et toujours plus de barbarie. Où sont les leçons de Jaurès ? « Si chauvins de France et d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations le regard et la mémoire des hommes ». La souillure est là. Mais Jaurès n’avait pas seulement alerté, il avait dit la cause : « tant que dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possédera les grands moyens de production et d’échange (…), tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi qui est la concurrence illimitée (…), il y aura des germes de guerre. »
Jean Jaurès n’a jamais renoncé. « J'espère encore malgré tout... » Jusque dans les derniers discours qu'il prononce, à quelques jours de la déclaration la guerre meurtrière, Jaurès affirme avec ardeur la force de l'optimisme qui a été le socle de son engagement. Un optimisme qui anime tous ses combats pour la paix, la justice et la liberté. Jaurès porte, face à l'adversité la plus féroce, son message avec conviction : « les capitalistes sentent, quoi qu'ils fassent, que l'avenir est leur ennemi ». Il avait, comme nous devrions l'avoir, une confiance inébranlable en la force de l'humanité à se libérer d’un capitalisme qui l’entrave. « La peur resserre ; l'espérance dilate » disait-il. Le fatalisme, aujourd’hui érigé en doctrine d’État, ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pour Jaurès, la solidarité humaine, le sentiment de justice, le désir d'émancipation ne sont pas des rêves stériles mais le moteur même de toute vie authentiquement humaine. Neuf millions de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté quand les plus riches augmentent leur revenu de 20% en un an, la France cinquième puissance mondiale et championne d'Europe en nombre de millionnaires ! « Cherchez l'erreur » nous aurait dit Jaurès. Et il aurait, avec nous, chercher la solution.
Pour Jaurès, révolutionner la société, c’est sans cesse réformer. « L’évolution révolutionnaire » ,comme il l’écrira. Il est d’une grande constance sur cette question. Pour lui, il n'y a pas d'autre voie pour aller vers une révolution durable que des réformes déterminées avec et dans l'intérêt du peuple. Penser la révolution sans penser aux réformes possibles -ici et maintenant- c'est être paralysé. Réformer sans avoir l'idéal « toujours discernable en chacun de ses actes, en chacune de ses paroles » c'est être aveugle. Avec lui, nous refusons effectivement la paralysie et l’aveuglement.
Ceux qui maquillent leurs mesures de régression sociale et économique derrière les mots de Jaurès ne peuvent faire illusion. La réforme exige une hauteur de vue à mille lieues du réformisme néo libéral d'aujourd'hui qui ne fait que mettre en œuvre ce qui est présenté comme inéluctable et sans alternative. Pour les gouvernements successifs la réforme n'est plus un choix qu'on incarne mais une obligation dictée par le Medef et les marchés qu'on met en forme. Reprendre le chemin de réformes sociales authentiques dans l’esprit de l’évolution révolutionnaire de Jaurès, c’est aujourd’hui la seule alternative à la barbarie soft qui nous est chaque jour imposée.
A l’inverse du détournement de sens actuel, Jaurès plaide pour le progrès permanent de la démocratie sociale et politique comme une seule même cause. Il le comprend très tôt. La République ne peut plus l’être à moitié, elle sera sociale ou ne sera pas vraiment la République.
« Ce qui manque à la démocratie c'est la confiance en soi-même… » L’inébranlable optimisme de Jaurès c'était par un même mouvement, une confiance vissée au corps en la démocratie. Il croit à la politique pour le gouvernement du peuple par lui-même : « là où les partis n’existent pas, soit parce qu’un groupe en a tué un autre, soit parce que le pessimisme s’est emparé de l’esprit public, on court le risque que les oligarchies se substituent à la classe même au nom de laquelle elles gouvernent. » Le changement de la société : c’est l'affaire du peuple et des individus libres qui le composent martèle-t-il. A la fin de son histoire du socialisme Jaurès dit « créer la démocratie en la dépassant a été, durant un grand siècle tourmenté et fécond, l'œuvre de la classe ouvrière. Diriger la démocratie en la dépassant et l'obliger enfin à se hausser au socialisme, ce sera sa grande œuvre de demain. » Voilàencore une clé pour aujourd’hui.
Toute sa vie durant, il creusera les chemins possibles, concrets d’une conquête de la propriété et de la coopération sociales : « le jour où dans la société transformée tous les hommes seront propriétaires associés ; le jour où par une série de transformations légales les salariés et prolétaires d’aujourd’hui seront avec tous les individus de la société des coopérants … », déclare-t-il dans un célèbre discours prononcé en Amérique latine.
Là encore, il traque la guerre, celle qui fait du « tous contre tous » la logique du système. « Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie (…) un régime de concorde sociale et d’unité ».
Et lui ne se trompe pas d’adversaire. Il dénonce « le capitalisme international qui va chercher la main d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie (…) , pour amener partout dans le monde des salaires au niveau des pays où ils sont les plus bas ». Il plaide pour « la communauté universel du droit social », où « toutes les nations apprendront à respecter chez l’étranger un homme et un frère. » Il appelle le 28 juin 1914, un mois avant la guerre, à « assurer un salaire minimum aux travailleurs étrangers ou français de façon à prévenir l’effet déprimant de concurrence » et à « protéger les ouvriers étrangers contre l’arbitraire administratif et policier pour qu’ils puissent s’organiser avec leurs camarades de France et lutter solidairement avec eux sans crainte d’expulsions ».
Voilà pour ceux qui parlent de Jaurès pour mieux étouffer sa voix. Ne les laissons pas faire ! En ces temps de nouveau troublés, où le doute est cultivé sur les valeurs héritées du siècle des Lumières et de la révolution française, en ces temps où liberté, égalité, fraternité sont tenues pour des mots sans effets, en ces temps où l’extrême droite distille son venin réactionnaire, nous devons agir dans les pas de Jaurès pour mettre fin à la guerre économique, pour promouvoir la coopération entre tous et chacun. Sinon, aujourd’hui comme hier, ainsi que le disait Jaurès, dans cette nuée dormante se développe l’orage des politiques agressives et destructrices de demain. « On ne pourra relever la patrie, relever l'Europe, qu'en abaissant le capitalisme », Jaurès avait raison !
Son cri est d’abord un cri de liberté. « Le but c’est l’affranchissement de tous les individus humains. Le but c’est l’individu. » Il est patriote mais pour lui « la patrie n’est pas un absolu, elle est un moyen de liberté et de justice. ». Pour Jaurès, l’individu est la fin suprême. La liberté est la valeur absolue du socialisme. Contre l’égoïsme réactionnaire et asservissant des capitalistes de l’époque il défend l’égoïsme égalitaire et universel des prolétaires. Il veut des citoyens « copropriétaires des moyens de production », et c’est ainsi, écrit-il, que « toute la nation sera comme une immense assemblée possédante et dirigeante ».
Jaurès, c’est l’optimisme. Et notre chemin face à tous ceux qui nous veulent que nous courbions l’échine, et répandent à dessein le pessimisme jusqu’au plus profond du cœur de la nation. La peur : voilà l’arme des nouvelles oligarchies. La peur : voilà le grand ennemi de l’immense majorité que nous sommes. A nous de suivre aujourd’hui Jaurès pour que la peur change de camp, pour avancer en faisant nôtre, en ce jour symbolique, la devise de Jaurès « ni haine, ni renoncement ! ».
Pour nous, les héritiers de Jaurès et de Babeuf, qu’il nommait lui-même « notre grand communiste », l’égalité et le partage sont l’essence de notre combat d’aujourd’hui, l’issue pour sortir de la crise, pour construire une société du bien commun. N’attendons pas pour être heureux !
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