Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de l’observatoire des contextes sociaux. PHOTO N.V. |
Manosque. « Quartiers pauvres et Politique de la ville », sous l’éclairage du sociologue Laurent Muchielli.
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de l’observatoire des
contextes sociaux, était jeudi dernier l’invité de l’Assemblée citoyenne
du bassin manosquin. À Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), la petite
salle Jean Le Bleu a fait le plein. « Quartiers pauvres et politique de
la ville », le thème, aura intéressé 80 personnes issues de courants
très divers, associatifs et politiques. Il n’a pas été superflu de
définir la politique de la ville, mal connue, désignant un ensemble de
dispositifs associant l'État et les collectivités territoriales dans
l’objectif de réduire les inégalités, renforcer la cohésion sociale,
favoriser l’accès à la culture et à l’éducation. Laurent Mucchielli en a
retracé 40 ans d’exercice pour un bilan plus que mitigé. Le
conférencier a mis en évidence les obstacles structurels qui ont plombé
l’effet global de ces mesures, prises dans une spirale d’inégalités et
de discriminations persistantes, de réactivités violentes, d’ambitions
avortées. Sur l’ensemble de la période, « la question sécuritaire écrase la philosophie globale ». L’intervenant parle de blocage politique. « Aucune
force politique ne défend réellement les habitants des quartiers,
aucune n’est en capacité de dépasser la question du retour à l’ordre. »
Le sociologue est remonté aux années 70, au cours desquelles émergent
les questions de la dégradation des grands ensembles construits
après-guerre et le creusement des inégalités sociales.
Le mauvais tournant des années 90
C’est dans les années 80 que la politique de la ville se donnera « le plus d’ambition », générera « le plus d’enthousiasme ». Un élan qui va « se fracasser sur la réalité ». On s’achemine vers le mauvais tournant des années 90.
L’explosion du chômage frappe de plein fouet les milieux ouvriers, en
premier lieu les ouvriers immigrés de l’industrie. La drogue fait des
ravages dans les quartiers populaires. Les actions entreprises sont loin
d’être en mesure de peser sur les vents contraires qu’agitent bien
d’autres phénomènes à l’œuvre : l’instrumentalisation politique, la
stigmatisation, la manipulation de l’opinion publique qui passe aussi
par les emballements médiatiques, la désinformation qui attise les
peurs, dégrade l’image des habitants des quartiers. « Repli, culture hip-hop, investissement de la sphère religieuse, traduisent le malaise identitaire. »
Si le cadre de vie progresse favorablement sur cette dernière décennie, ceux qui demeurent dans les zones sensibles, « s’y trouvent en plus mauvais état ».
Les blocages sont nombreux et profonds. Le sociologue relie la
discrimination à une représentation persistante de la société française
dans le mythe de « nos ancêtres les Gaulois », l’image d’Épinal de la carte postale, une société qui « elle-même n’intègre pas le fait qu’elle est un pays d’immigration ».
Dans le terreau de la crise se développe le mécanisme xénophobe actionné par l’extrême droite.
« Le double chômage » brise le lien social et anéantit plus encore le sentiment d’appartenance à la société. Alors que « l’échec
scolaire constitue la première exclusion sociale, l’Éducation nationale
persiste à traiter tout le monde de la même manière » avec pour résultat de reproduire les inégalités.
Le fonctionnement technocratique de la politique de la ville, sans
prise avec la réalité de terrain, établie sur des budgets de court
terme, induit « l’insécurité permanente des associations, se heurte à des effets de seuil », ne s’exerce pas de façon suffisamment massive « pour changer la donne, produire un effet réel ».
Suite à la conférence et une discussion très nourrie, la salle s’est
plongée dans les réalités de la pauvreté avec le documentaire de
Jean-Pierre Duret et Andréa Santana, « Se battre ».
NADIA VENTRE
Pour aller plus loin : http://www.laurent-mucchielli.org/
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