Dans La Terre. Dans le Tarn,
près de Gaillac, un projet de barrage suscite une contestation grandissante qui
remet en question à la fois l’utilité d’un projet assis sur des financements
publics et un modèle agricole hérité de l’après-guerre.
Il faut grimper sur les collines
qui surplombent le nord de la ville de Gaillac pour arriver au milieu de la
vallée du Tescou, modeste cours d’eau qui se jette dans le Tarn au niveau de
Montauban. Une vallée qui s’agite depuis que se prépare un vieux projet de
barrage. Remontant aux années 70, le barrage de Sivens s’étendrait sur 34 hectares dont 29
immergés, avec une digue de 10
mètres de hauteur. Il contiendrait 1,5 millions de
mètres cubes pour un coût de 7,8 millions d’euros, avec des financements
publics répartis entre l’Union européenne via le fond FEADER (30%), l’Agence de
l’eau Adour-Garonne (50%) et les conseils généraux du Tarn et du
Tarn-et-Garonne. Objectif : soutien au débit d’étiage et création de réserves
en eau pour l’irrigation. Problème : au milieu de la zone choisie pour la
construction se trouve onze hectares, la zone humide du Testet, « l’une des
deux dernières de cette qualité dans le département », selon le naturaliste
Christian Conrad.
La vallée du Tescou
a-t-elle soif ?
C’est pour défendre cette zone
humide que naît le Collectif Testet en 2011. En creusant le dossier, il met à
jour de nombreux conflits d’intérêts et remet en cause l’utilité même du
barrage avec, au centre, la question de l’usage de l’eau. Un problème essentiel
selon Patrick Lombrail, producteur à Saint Nauphary : « Chaque été, début juin,
le Tescou est à sec. Si je n’avais pas construit mon petit lac collinaire dans
les années 80, j’aurais arrêté depuis longtemps». Ce céréalier et adhérent à la FNSEA irrigue un tiers de
ses 90 hectares.
Et pour lui, « ce barrage est une excellente chose et il se fera de toute façon
».
Une conviction que ne partage pas
Philippe Maffre, agriculteur à Montans, et syndicaliste à la Confédération Paysanne
: « Nous n’avons à ce jour aucune preuve que ce barrage viendrait répondre au
besoin d’eau de la vallée du Tescou ! ». En fait, la zone humide elle-même
venait déjà répondre aux besoins en eau, comme l’explique Jacques Tomas, du
bureau d’études coopérat i f SAGNE : « Ce sont des éponges. Aucun ouvrage n’est
plus efficace pour contenir l’eau en cas de sécheresse et la retenir lors des
pluies abondantes ».
Selon la chambre d’agriculture du
Tarn, les surfaces irriguées du département (155 ha) ont été réduites de
42% en dix ans. Pourtant, Patrick Lombrail convient n n n tout à fait que « les
FDSEA du Tarn et Tarnet- Garonne ont été parties prenantes pour réaliser ce
projet ». Philippe Maffre a beau irriguer lui aussi, il soutient qu’il «
vaudrait mieux construire quelques petits lacs collinaires plutôt que de
réaliser ce projet coûteux et démesuré », qui ne bénéficierait in fine qu’à une
trentaine de producteurs. Autre solution, proposée par Jérémy, maraîcher dans
le département : « On peut utiliser des modes de production comme le semis
direct, qui utilise très peu d‘eau ».
Un projet ébréché qui
passe en force
Mais de débat de fond, il n’y en
aura jamais. Roland Foissac, vice-président communiste du Conseil général du
Tarn, a ainsi demandé le retrait de sa délégation à la démocratie participative
« pour protester contre le manque de dialogue ». En cause, Thierry Carcenac, le
président du Conseil général, inflexible, qui refuse toujours un débat public
contradictoire. En novembre 2013, la préfecture donne son aval pour démarrer le
chantier, contre tous les avis consultatifs. Des opposants locaux entament
alors l’occupation permanente de la zone et tentent de s’opposer à l’avancée
des machines. Ce sont les « bouilles » qui constituent peu à peu une Zone à
Défendre (ZAD), inspirée de celle de Notre-Dame-des-Landes. Ils vivent au
quotidien sur place, aidés par la population voisine. Certains riverains
probarrage y voient « des hippies et des squatteurs qui ne respectent rien ».
S’ils sont accusés des moindres problèmes dans la vallée, ce sont eux qui
subissent au quotidien la violence, notamment policière, avec des policiers et
des militaires présents sur place tous les jours depuis deux mois. Et les
pandores ne se privent pas de faire sentir leur pouvoir : violences physiques,
actes d’humiliation gratuits, affaires brûlées, campements saccagés malgré
l’absence d’avis légal d’expulsion.
Et pourtant, la mobilisation ne
faiblit pas. Ce samedi, ils étaient de nouveau rassemblés sur place pour exiger
un moratoire et l’arrêt du chantier. Parmi eux, le député européen écologiste
José Bové : « Le problème fondamental de ce projet c’est qu’on essaie encore de
faire se plier le terrain au modèle agricole plutôt que de nous adapter
nous-mêmes à notre environnement ». Une problématique aussi ancienne que le
métier d’agriculteur, mais qui doit désormais être résolue, sous peine de
disparition conjointe du monde agricole et des écosystèmes naturels.
Grégoire Souchay
Mardi, 28 Octobre, 2014 – La Terre
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