Comment est-il possible qu’en France, en l’an deux mille quatorze,
un jeune homme épris de botanique et amoureux de la nature puisse mourir
sous la mitraille d’engins de guerre. Rémi
Fraisse n’avait que le tort de s’opposer avec des milliers d’autres à
la construction d’un barrage dont l’utilité est contestée jusque dans
les bureaux du ministère de l’environnement. Alors
pourquoi ? Pourquoi cette violence ? Qui a donné l’ordre de tirer
ainsi dans le dos d’un jeune homme pacifique au grand cœur ? Nous
demandons la clarté sur la chaine de
commandement qui a conduit à cette tragédie ! Que dit cet
insupportable drame de notre société, et des pratiques politiques ?
N’a-t-on pas à méditer sérieusement et collectivement
sur l’engrenage qui a conduit les forces de l’ordre à tuer un jeune
militant de l’environnement ? Un jeune partie prenante de ces nouvelles
mobilisations qui, des places de Tunisie et
de Turquie des Etats-Unis au Burkina-Faso appellent un monde
nouveau ; partie prenante de ces nouvelles générations de plus en plus
conscientes du voile jeté par les pouvoirs
institués sur la vraie dette qui se creuse à l’égard des générations
futures : la dette écologique.
Son combat n’avait rien à voir avec quelques éléments plus que
troubles, professionnels de la provocation et de la violence en fin de
cortège ouvrier, ou de soutien à la Palestine et de
mouvements pour l’environnement. Ceux-ci sont bien utiles à ceux qui
cherchent quelque prétexte pour discréditer une cause. Ici il
s’agissait de porter le coup de grâce à un mouvement
pacifique, responsable et conscient. A-t-on choisi en haut lieu une
stratégie de tension et de guerre pour gagner la partie contre les
citoyens ?
Lancé il y a une trentaine d’années par le Conseil général du Tarn,
le projet de barrage dans la forêt de Sivens fait l’objet d’une
contestation grandissante depuis plusieurs années
de la part d’actrices et d’acteurs de la cause environnementale, de
quelques agriculteurs et d’élus dont notre ami Roland Foissac,
Vice-président du Conseil général. Tous pointent la démesure du
projet et son impact négatif sur l’écosystème de la zone humide du
Tescou, grande de 18,8 hectares.
Les arguments avancés ébranlent les certitudes jusque dans les
ministères. Ainsi, en octobre 2012, Delphine Batho ministre de
l’environnement, rédige une circulaire qui met fin au financement
public des retenues de substitution. Le projet de barrage ne parait
pas pertinent pour répondre aux réels besoins en eau.
Pourtant, le 14 novembre suivant, la préfecture du Tarn enjoint le
Conseil général à déclarer le projet d’utilité publique. Mieux, elle
produit une circulaire levant l’exceptionnalité des espèces
protégées. La commission permanente de l’assemblée départementale
vote à la majorité en ce sens le 17 mai 2013 sans les trois voix des
conseillers écologiste et communistes.
Moins de deux mois plus tard, le nouveau ministre Philippe Martin
réhabilite les décrets : le projet est à nouveau soutenu par le
gouvernement et retrouve toute sa légalité. La Préfète
peut signer le décret qui reconnait le projet d’utilité publique.
Pour autant, la contestation ne faiblit pas et Ségolène Royale,
nouvelle ministre de l’environnement, demande un rapport d’expertise.
C’est dire si elle doute elle-même.
Celui-ci, rédigé par deux ingénieurs des Ponts et Chaussées, est
remis à la ministre le lendemain de la mort de Remi Fraisse.
Il indique que « le
barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse
des solutions alternatives possibles. Ceci est d’autant plus
regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume
stocké est élevé ». Il souligne également « la
médiocrité » de l’étude d’impact et « la
fragilité du financement ».
L’irrigation ne concernerait qu’une petite trentaine d’agriculteurs contre les 81 avancés par le Conseil général.
Bref, ce projet est bancal depuis le début, dit en substance le
rapport qui préconise d’autres solutions combinant l’intérêt des
agriculteurs et l’intérêt général. Et il aura fallu qu’un
homme meurt pour que les pouvoirs publics s’en rendent compte !
La gestion de ce dossier par le gouvernement est donc de bout en
bout catastrophique et lourde de conséquences. Les postures de Manuel
Valls contre les manifestants , les silences assourdissants
du Président de la République à la suite du décès de Rémi, le temps
qui s’est écoulé entre la découverte de sa mort et la première
communication à l’agence France-Presse, les différentes versions
des faits relatés par les gendarmes, le fait que le ministre de
l’intérieur affirme qu’il ne s’agit pas d’une bavure, tout cela n’a fait
que renforcer les questionnements et le malaise,
jusqu’au sein du gouvernement. L’ensemble de ces éléments crée une
crise politique sérieuse.
S’ajoute à cela, le fait que l’on commande un rapport d’experts dans
la panique, dont les conclusions soulignent que le projet a été
totalement surévalué, au prétexte d’une redynamisation de ce
terroir qui, certes, connait de réelles difficultés. Il pose avec le
collectif du Tescou cette importante question : Doit-on sacrifier la
zone humide et ses cinquante espèces protégées pour
irriguer des champs de maïs ? Le rapport note que des solutions
alternatives de retenues d’eau suffisantes pour assurer l’irrigation de
la vallée n’ont jamais été étudiées. Comment
comprendre encore que le Conseil général lui-même ne prend aucune
décision et renvoie la balle à L’Etat ? Tout est confus, dans cette
affaire !
Le barrage du Sivens illustre une sorte de faillite dans les
processus décisionnels, et l’implication démocratique citoyenne. Ce
type de projets, ficelés quasiment en vase clos, où les
décideurs et les maîtres d’ouvrages s’entendent en amont sur la
pertinence des projets, très rémunérateurs, en l’absence de tout débat
public approfondi et de toute contre-expertise pose de plus
en plus problème. Ces projets engagent pourtant l’avenir des
territoires et définissent soit un modèle agricole soit un aménagement
des territoires avec des impacts sur la biodiversité, parfois
de manière irréversible.
Se multiplient, aujourd’hui, des projets d’aménagement,
d’agriculture et d’élevage industriel, un peu partout en France, sur le
même mode opératoire, avec une mise à l’écart des voix discordantes
et une opacité dans le montage des dossiers : ferme des 1000 vaches,
poulailler des 250 000 poules, etc… que seuls rendent légaux quelques
décrets préfectoraux visés par le chambres
d’agriculture et les financeurs. Mais la légalité ne fait pas
toujours la légitimité.
Et les voix qui s’élèvent contre ces projets font l’objet de
poursuites judiciaires comme c’est le cas des syndicalistes de la
Confédération paysanne qui ont manifesté leur opposition à la
ferme des 1000 vaches. Et l’actualité vient de nous prouver que pour
faire taire ces voix, on peut aussi tuer des hommes.
Les leçons de cette affaire doivent être tirées au plus vite par le
gouvernement. On ne peut à la fois promouvoir l’agro-écologie ou la
transition environnementale et laisser faire de tels
projets avec de telles méthodes. Ajoutons que la solution pour les
paysans n’est pas le sauf qui peut individuel ou la fuite en avant
productiviste qui leur est imposée. L’enjeu est la
rémunération de leur travail par des prix qui rendent viable
l’agriculture paysanne de qualité et diversifiée.
Rien ne doit se faire sans l’instauration de vrais débats
démocratiques en amont qui associent les agriculteurs, les habitants,
les associations et les élus locaux.
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