L'Humanité s'est procuré ce texte qui déréglemente à tout-va. Décryptage
La grenade Macron contre le Code du travail est dégoupillée. Le projet de loi censé « libérer l'activité »,
selon son intitulé, concocté par le
ministre de l’Économie comme pour incarner la dictature des intérêts
privés sur les choix sociaux et sociétaux a été transmis lundi au
Conseil d'Etat, en vue d'une présentation en Conseil des
Ministres à la mi-décembre.
Si la plupart des thèmes et des
mesures du projet étaient connus, certains y ont été inclus dans la plus
grande opacité. La mouture finale révèle une attaque de
grande ampleur contre les droits des salariés – avec l'extension du
travail du dimanche et de nuit -, et contre leurs institutions que sont
les conseils de prud'hommes, l'inspection et la
médecine du travail. Il révèle aussi la brutalité de la
méthode du gouvernement qui, pour certains thèmes, passera par
ordonnance pour éviter le débat au Parlement.
Décryptage des principaux points du projet.
Vannes ouvertes au travail du dimanche
Si les socialistes avaient dénoncé en
2009, sous Sarkozy, la loi Mallié élargissant les possibilités
d'ouverture des commerces le dimanche, leur projet explose les
records en matière d'extension du travail dominical, et ouvre la
voie au travail 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 à l'américaine, avec
la possibilité de faire travailler les salariés jusqu'à
minuit sans que cela soit considéré comme du travail de nuit !
L'extension est multiforme. D'une
part, les cinq dimanches par an d'ouverture des magasins qui pouvaient
être décidés par les maires des communes passent à douze
par an, dont cinq seraient accordés de droit aux commerces, sans que
l'édile local puisse s'y opposer. D'autre part, le projet va
généraliser l'ouverture des centres commerciaux. La loi Mallié
avait légalisé la situation des centres qui ouvraient jusqu'alors
dans l'illégalité, en créant le concept de « périmètre d'usage de consommation exceptionnel » (Puce),
réservé » aux agglomérations de plus d'un million d'habitants. Avec Macron, les Puce sont transformés en « zones commerciales caractérisées par un potentiel
commercial », une définition en forme de pléonasme qui signifie
que toute zone commerciale, partout en France, pourra obtenir
l'autorisation. Autre innovation, en plus des zones
touristiques actuelles, le texte crée les fameuses « zones
touristiques internationales », qui permettront notamment aux magasins
des Champs-Elysées et aux grands magasins comme le
Printemps et les Galeries Lafayette à Paris d'ouvrir le dimanche
alors que les actions en justice de l'intersyndicale Clic-P les en
empêchent aujourd'hui. Ces zones seront déterminés par les
ministères du Travail, du Tourisme et du Commerce, une manière
d'exclure les municipalités, comme celle de Paris qui a refusé en 2010
ce cadeau aux grands magasins. Anne Hidalgo, maire PS de la
capitale, n'a pas manqué de réagir mardi en prévenant qu'elle
n'accepterait pas que « les pouvoirs du maire soient captés par Bercy ». C'est dans ces zones touristiques
internationales que les enseignes se voient tailler un Code du Travail sur mesure, avec un nouveau concept de « travail de soirée » qui décale à minuit le déclenchement du
travail de nuit.
Pour faire passer la pilule, le
gouvernement instaure pour ces innovations une garantie de volontariat
des salariés et le doublement du salaire pour les heures de
travail dominical ou vespéral. Les syndicats insistent sur le leurre
du volontariat, du fait des pressions possibles des directions sur les
salariés. Et pour les majorations de salaire, le texte
offre une issue aux patrons. Les entreprises pourront négocier des
accords moins favorables, et ce n'est qu'en l'absence d'accord que le
filet de sécurité de la loi s'appliquera, avec la
majoration de 100 %. De plus, ce filet ne concernera pas les
établissements de moins de vingt salariés. L'éclatement de l'activité
des groupes en petits établissements distincts leur
permettra d'échapper au surcoût du dimanche. Le Clic-P annonce une
nouvelle manifestation le 16 décembre.
Prud'hommes : la justice du travail remise au pas
La spécificité de la justice
prud'homale rendue par des juges issus du monde du travail à parité
entre employeurs et employés, c'est du passé. Sous prétexte que les
délais de jugement dans les conseils de prud'hommes d'Ile de France
sont inacceptables, Macron engage une restructuration profonde de
l'institution, déjà entamée avec la suppression de l'élection
des juges prud'homaux, discutée hier à l'Assemblée Nationale. Il
n'est pas question de donner aux tribunaux les moyens nécessaires au bon
fonctionnement, mais de les mettre au pas pour qu'ils
fassent de l'abattage, au détriment des salariés qui demandent
réparation. Dans 92 % des cas, les salariés saisissent les prud'hommes à
l'occasion d'un licenciement. Or, dans ce cas, le
projet prévoit qu'avec l'accord des deux parties, l'affaire sera
renvoyée vers une formation restreinte (deux juges au lien de quatre)
qui statuera sous trois mois et allouera au salarié une
indemnité forfaitaire en fonction d'un barème lié à son ancienneté
dans l'entreprise. « On ne sera plus de vrais juges car le travail d'un juge, c'est de regarder chaque cas et de voir
les préjudices, pas d'allouer un montant fixe » s'insurge Jamila Mansour, présidente CGT des prud'hommes de Bobigny...
Inspection et médecine du travail : carte blanche pour réformer
Ce sont les deux surprises du chef,
l'inclusion dans le projet Macron d'une carte blanche pour réformer la
médecine du travail et l'inspection du travail par voie
d'ordonnance, histoire de contourner magistralement les débats au
Parlement. Concernant l'inspection du travail, le premier volet de la
réforme dite Sapin – la restructuration des services – est
passé par décret et en cours d'application... Le texte prévoit ainsi
de dépénaliser de la plus en plus les infractions au code du travail,
sous la forme de possibilités d'amendes immédiates
délivrées par l'inspecteur du travail sans jugement et d'allègement
des peines applicables en cas d'entrave au droit du travail. C'est
conforme à la promesse de François Hollande de supprimer la
peine de prison pour les patrons piétinant les droits des délégués
du personnel, des comités d'entreprise, des comités hygiène et sécurité,
au motif que cela inquiéterait les investisseurs
étrangers. En réalité, les employeurs ne vont jamais en prison et
les procès-verbaux d'inspecteurs pour entrave sont souvent classés par
la justice. En allégeant encore la peine inscrite par le
Code du travail, le gouvernement lance un signal supplémentaire pour
que ces droits ne soient pas respectés.
Même opacité pour les médecins du travail qui ont découvert fin octobre qu'ils seront frappés par le « choc de simplification » du
gouvernement. Ce dernier compte supprimer la visite médicale périodique des salariés et mettre fin aux avis d'aptitude « avec restrictions »
délivrés par les médecins du
travail qui obligent les employeurs à aménager les postes de
travail. La réforme est finalement venue se nicher dans la loi Macron,
mais là encore sans précision puisque c'est par ordonnance qui
seront prises ces mesures.
Fanny Doumayrou – l'Humanité du jeudi 20 novembre 2014
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